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LES FABLIAUX

Or, il en est ainsi non seulement des contes à rire, mais de tout un trésor de contes merveilleux, de chansons, de proverbes, de superstitions médicales, de pronostics météorologiques, de fables, de croyances fantastiques, toutes traditions douées d’une force prodigieuse de survivance dans le temps, de diffusion dans l’espace.

Où chacun de ces groupes a-t-il pris naissance ? Et l’obsédant problème se pose de l’origine et de la transmission des traditions et, plus spécialement, des contes populaires.

Plusieurs vastes systèmes sont en conflit pour y répondre : théorie aryenne, théorie anthropologique, théorie orientaliste. Mais il est permis de n’en retenir ici qu’un seul, le système orientaliste : car seul il donne au problème plus spécial de l’origine des fabliaux une solution, que même les systèmes généraux adverses admettent communément. C’est la théorie, forte de l’autorité de ces noms glorieux : Sylvestre de Sacy, Théodore Benfey, Reinhold Koehler, Gaston Paris, selon laquelle l’immense majorité des contes populaires viendrait de l’Inde. Quelques siècles avant Jésus-Christ, le bouddhisme, ami des paraboles, inventa, pour les besoins de sa propagande, un nombre prodigieux d’apologues, de récits merveilleux ou plaisants, de fables. La prédication des moines mendiants les porta en Mongolie, au Thibet, en Chine, tandis qu’ils s’acheminaient aussi vers l’Europe. Les Indiens les avaient réunis en de vastes recueils, le Calila et Dimna, le Çukasaptati, le Roman des Sept Sages, d’autres encore, à une époque où le monde gréco-romain les ignorait. Ces recueils sanscrits, dont le succès n’eut d’égal que celui de la Bible, successivement remaniés en langues pehlvie, arabe, syriaque, persane, grecque, hébraïque, parvinrent enfin aux Occidentaux, au xiie et au xiiie siècle, à la faveur de traductions latines ou espagnoles dues à des juifs : de là nos recueils de contes, le Directorium humanæ vitæ, la Discipline de clergie, le Dolopathos, le Roman des Sept Sages. En même temps, la transmission orale, plus puissante encore que celle des livres, les portait à Byzance et en Syrie, où les pèlerins et les croisés les recevaient des Orientaux. Aujourd’hui encore, étant donné un conte populaire quelconque, il est le plus souvent possible de le suivre à la piste et d’étape en étape