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LES FABLIAUX

pour représenter le genre ; il en a péri un nombre difficilement appréciable, mais très grand. Un trouvère, Henri d’Andeli, nous donne ce renseignement curieux : rimant un grave dit historique, il nous fait remarquer que — ce poème n’étant pas un fabliau — il l’écrit sur du parchemin et non sur des tablettes de cire. Aussi n’avons-nous conservé de Henri d’Andeli qu’un seul fabliau, et, s’il nous est parvenu, c’est miracle : on n’estimait pas que ces amusettes valussent un feuillet de parchemin.

Pourtant, si nous possédons seulement l’infime minorité des fabliaux, certaines inductions nous permettent de croire que nous en avons gardé l’essentiel, le plus caractéristique : fait aisément explicable, si l’on songe que les manuscrits qui nous les ont conservés ne sont pas des manuscrits de jongleurs, compilés au hasard, mais plutôt de véritables collections d’amateurs, à la formation desquelles un certain choix a présidé. Il convient pourtant de faire cette réserve : ces collections représentent excellemment le genre, mais à un moment déjà tardif de son développement : on ne s’est avisé qu’assez tard de former ces recueils ; les fabliaux les plus archaïques, tout comme les plus anciens des contes qui coururent sur Renart et Ysengrin, ont péri.

Naissance et formation du genre. — Sans doute, à la date où nous apparaissent les plus anciens fabliaux, on redisait en France, depuis des siècles déjà, des contes plaisants. Très anciennement les Sommes de Pénitence enregistrèrent, au nombre des péchés à punir, le goût de nos ancêtres pour ces histoires grasses. Dès le viiie et le ixe siècle, le Pænilentiale Egherti († 766), les Capitula ad presbyteros d’Hincmar († 882) interdisent aux fidèles d’y prendre plaisir (fabulas inanes referre, fabulis otiosis studere), et ces vilaines historiettes devaient ressembler fort à nos fabliaux. Antérieurement aux croisades, et sans doute dès le début du xie siècle, fut composé l’original de l’ample recueil de contes et de fables connu sous le nom de Romulus de Marie de France : il fut un vénérable contemporain des rédactions archaïques de la Chanson de Roland et contenait le canevas de plusieurs des fabliaux postérieurs.

Ainsi, l’on se plut de fort bonne heure à ces contes, mais