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LES FABLIAUX

un conte à rire ; c’est une fantaisie qui a dû se renouveler plus d’une fois, et c’est ainsi que la spirituelle piécette du Prêtre au lardier doit être accueillie dans notre collection, comme un spécimen d’une variété rare du genre : le fabliau chanté. — De même enfin, les deux mots : lai, fabliau, empiètent souvent l’un sur l’autre, et c’est ici surtout que le départ est délicat entre les genres. Par exemple, il est certains récits, sans rien de celtique, essentiellement distincts des lais de Marie de France, que les jongleurs appellent pourtant des lais : lai d’Aristote, lai de l’Épervier, lai d’Auberée. Ce sont de simples contes à rire, mais narrés avec finesse, décence, souci artistique. Pourquoi les jongleurs ne les appellent-ils pas des fabliaux ? C’est que le mot s’était sali à force de désigner tant de vilenies grivoises ; il leur répugnait de l’appliquer à leurs contes élégants, et le titre de lai, qui avait pris un sens assez vague, mais s’appliquait toujours à des poèmes de bon ton, leur convenait à merveille. Ces contes sont des fabliaux plus aristocratiques, des fabliaux pourtant. — Inversement, quelques poèmes plus élégants encore, Guillaume au faucon, le Chevalier qui recouvra l’amour de sa dame, le vair Palefroi, les trois Chevaliers et le chainse, sont des nouvelles sentimentales et non des contes plaisants : leurs auteurs leur ont pourtant appliqué l’étiquette de fabliaux. Il convient peut-être de la leur conserver, pour montrer que des transitions insensibles mènent du fabliau au lai, de l’obscène conte de Jouglet à l’aristocratique récit du vair Palefroi.

En un mot, les fabliaux sont des contes à rire qui confinent parfois soit au dit moral, soit à la légende sentimentale et chevaleresque. Il est difficile en certains cas de marquer où se fait précisément le passage d’un genre à l’autre ; mais l’indécision même des trouvères est un fait littéraire qu’il faut respecter. Pour dresser une liste qui comprenne tous les fabliaux et rien que des fabliaux, il faut y appliquer l’esprit de finesse et c’est pourquoi quelques désaccords subsisteront toujours entre les critiques. On peut se fier, en général, à la liste que MM. A. de Montaiglon et G. Raynaud ont dressée, avec infiniment de justesse littéraire, en la précieuse édition qu’ils ont donnée des fabliaux et qui sert de base à notre étude.

Elle comprend environ cent cinquante poèmes. C’est peu