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LES ROMANS DU RENARD

jour, sans aucun plan arrêté d’avance, au gré des caprices changeants de sa verve intarissable. Après avoir composé un premier roman de 31 000 vers, il en a fait une seconde version plus longue, sans toutefois y introduire plus d’art, ni plus d’ordre. La facture de ses vers est celle de la plupart des poètes de ce temps, c’est-à-dire d’une négligence déplorable : pourvu qu’il trouve la rime au bout de chaque ligne, il est satisfait ; il ne faut lui demander ni délicatesse de style, ni recherche d’expression. Et même il lui est arrivé de succomber à la peine dans ce métier de rimeur à outrance, et de reprendre haleine pendant quelque temps en remplaçant les vers par de la prose. Pour s’en excuser auprès de ses lecteurs, il a usé d’un subterfuge dont on n’est point dupe. Dans un long entretien entre Renard et le lion, celui-ci voulant connaître les faits et gestes de l’empereur Octavien et de ses successeurs, prie Renard de « se déporter de rimer » et de l’instruire en langage ordinaire,

Car y porras mieulx comprimer
Leurs vies, et leur fais compter,
Que en rimant tu ne feroies.

Noble avait raison : le récit a du moins gagné en clarté à cette transformation.

Pour le fond du Renard le Contrefait, il est à la vérité constitué par les aventures traditionnelles du goupil ; mais celles-ci sont plus que jamais un cadre pour une matière nouvelle ; elles servent de prétextes pour des digressions de toute sorte, étrangères au sujet dont elles dénaturent la portée primitive et qu’elles font perdre tout à fait de vue. Ce nouveau roman est bien, comme l’a nommé le poète, une « contrefaçon » de l’ancien.

À lire certains des prologues des branches dans l’une et l’autre version, on se tromperait aisément sur le dessein de notre poète. Ils feraient croire, en effet, qu’il n’a pas eu d’autres visées que celles des auteurs du Couronnement Renard et du Renard le Nouveau. Ne croirait-on pas les entendre, quand il nous avertit qu’il va traiter de la renardie, de cet art qui fait du mensonge la vérité, du vieux le neuf, de cet art dont le siècle est plein, que tout le monde apprend, religieux et mondains, vieux