Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 2, 1896.djvu/583

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

effet, la refonte qu’ils ont subie a eu en réalité, pour la langue, absolument les mêmes résultats qu’eût eus l’introduction de mots latins nouveaux. Or ces reformations ont été nombreuses et souvent définitives[1].

Le danger se trouva retardé par ce fait que nombre de latinismes, par exemple ceux qui se rapportaient à des institutions romaines : augure, auspice, censeur, cohorte, colonie, comice, conscript, consulaire, consulat, curule, decemvir, etc. (Bersuire) n’avaient guère de chance de se vulgariser rapidement. D’autres qui l’auraient pu peut-être, n’y sont pas parvenus. Tels adhiber (Bersuire), concion (Id.) concioner (Id.) confèrent (Oresme), consuetudinaire, (Id.), contemptif (Id.), crudelilé (Id.), decession (Bersuire), delectalif (Deschamps), dictatoire (Bersuire), duracion (Oresme), impugner, intransmuable (Id.), mansuet (Id.), molestation (Id.), politiser (Id.), quadrangle (Id.), segreger (Id.), superabondance (Id.), superexcellence (Id.), volulation (Id.)

Enfin, de ceux mêmes que j’ai donnés plus haut, beaucoup n’ont pas eu, tant s’en faut, un succès rapide, ni une diflusion grande. Une grande partie d’entre eux se rencontrent au XIVe siècle, puis disparaissent pendant cent cinquante ans. Beaucoup sont réinventés à la fin du XVe et au commencement du XVIe siècle. D’autres, comme adapter, aduler, circonscription, compact, cultivable au XVIIIe seulement, d’autres enfin ne sont rentrés dans le lexique que de nos jours : raréfaction, rectiligne, etc.

Il n’en est pas moins vrai qu’après Bersuire, Oresme et les leurs, l’âge du latinisme est bien commencé, moins encore parce qu’il y a des latinistes et que la race s’en perpétuera pendant des siècles, que parce que les latinismes sont en assez grand nombre pour s’imposer désormais à l’esprit comme types analogiques des formations nouvelles. En effet, en jetant les yeux sur la nomenclature que j’ai donnée un peu plus haut, et où j’ai à dessein réuni les mots par suffixes, on verra du premier coup, quelle différence profonde sépare l’infiltration savante des âges antérieurs de l’invasion du XIVe siècle. Jusque

  1. Il est arrivé quelquefois que la vieille forme a survécu à côté de la nouvelle, conter, consommer, devenus compter, consumer, par imitation de computare, de consumere se sout maintenus sous la forme ancienne avec un autre sens. Au temps de Malherbe consommer et consumer n’étaient pas encore parvenus à se séparer complètement.