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au pluriel un féminin mienne, tienne, sienne, de sorte que la série des formes toniques de ce modèle, bâtie tout entière sur une seule forme d’un seul pronom, est complète, et que les formes régulières et étymologiques n’ont plus qu’à disparaître.

Dans le verbe, les confusions sont bien plus grandes encore. Elles portent d’abord sur les flexions. Au subjonctif présent, il n’y a plus guère que des troisièmes personnes : otroit, gart, puist, aimt (E. Deschamps), qui soient préservées de l’invasion de l’e muet, comme elle le resteront longtemps encore par tradition. À la première et à la seconde personne l’envahissement est complet. À l’indicatif présent la vieille forme je chant subit la même addition, et cesse de se distinguer de je remembre ou je tremble, où l’e était primitif, ayant servi à appuyer le groupe de consonnes.

Au conditionnel, en attendant que la même substitution ait lieu à l’imparfait, ois apparaît à la fin du siècle, chassant oie, qui était étymologique[1]. Un peu plus tôt ons et ions achevaient jusque dans les subjonctifs, comme chantiens, de prendre la place de iens[2]. Enfin et surtout les verbes de la première conjugaison en ier, sous l’influence de la masse des verbes en er, s’assimilent à ceux-ci, et devisier, mangier, enseignier, conseillier deviennent conseiller, enseigner, manger, deviser. C’était, si l’on songe au grand nombre de ces verbes et des formes où l’i paraissait, un changement de première importance.

Encore ne sont-ce pas les flexions seules, mais encore les radicaux des verbes qui sont à ce moment atteints. J’ai insisté plus haut sur les résultats produits par le balancement de l’accent latin dans la constitution du radical des verbes et montré par quelques types, comment il variait d’une personne à l’autre. Au XIVe siècle l’assimilation se fait dans beaucoup de verbes ;

  1. Darmesteter dit dans sa Gram. histor. (Morphol. p. 152) que les formes oie, oy, ois s’emploient au XIVe siècle indistinctement. C’est un peu général. D’abord la deuxième de ces formes est rare, ensuite la troisième ne se rencontre guère d’abord qu’au conditionnel, non à l’imparfait. À ce dernier temps elle est déjà assez commune. Le scribe de Joinville écrit encore oie, mais dans Deschamps on trouve serois (p. 313), dans Troïlus je feindrois (140), j’aurois (185). Knauer ne nie ce fait que par une erreur de rédaction. Il cite lui-même ailleurs mourrois, orrois, aurois, serois (pris au Combat des Trente).
  2. M. de Wailly, d’après les chartes, rétablit dans Joinville aviens (32), deveniens (43), aliens (57), oseriens (37), aidissiens (66). Le scribe, d’après M. Michel, avait écrit avionsaidissons.