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ment les rapports. Ainsi les formes élidées, communes au moyen âge, celles des pronoms au moins, disparaissent : ne le, si le, je le, ne les, si les, je les, remplacent nel, sil, jel, nes, sis, jes, débris d’un système de contraction autrefois plus répandu, et qui, dès le XIIe siècle, était allé se restreignant. Les besoins analytiques de la syntaxe l’emportent là sur les tendances phonétiques. C’est aussi le temps où les pronoms personnels deviennent de plus en plus usuels devant les verbes, où, fait plus caractéristique encore, les démonstratifs commencent, faute de suffire à la distinction des choses prochaines et lointaines, à se renforcer à l’aide des adverbes ici et [1].

Dans les adjectifs, la distinction à laquelle j’ai fait allusion plus haut, entre les adjectifs à formes spéciales pour le masculin et le féminin et les autres tend de plus en plus à s’effacer. On trouve déjà dans la vieille langue des exemples de formes comme grande, forte, tele, courtoise, gentile, ardante ; au XIVe siècle ce sont des séries entières, ainsi celles des adjectifs en el, et en il, qui marquent une tendance à prendre régulièrement un e au féminin, sur le modèle des adjectifs de la première classe.

Les adverbes correspondants se trouvent modifiés du même coup ; gramment, forment, cèdent à grandement, fortement, qui les auront bientôt remplacés[2].

Parmi les pronoms, on voit le personnel il, et le possessif leur cesser d’être invariables et prendre l’s, marque du pluriel. Mais dans cette classe de mots, ce sont les possessifs de l’unité surtout que l’analogie bouleverse. Déjà ceux de la deuxième et de la troisième personne avaient été influencés par la première au point de refaire nombre de leurs formes. Au XIIIe siècle le sujet miens, fait analogiquement sur le régime mien, avait trouvé des correspondants dans les secondes et troisièmes personnes XIVe siècle. Au XIVe, tous trois reçoivent au singulier et

  1. Knauer cite dans Hugues Capet : chechy ; dans Froissart : cechy, dans Cuvelier : cil là. On trouve dans Troïlus : ceste icy ou ceste cy (127, 130, 134, 141, etc.) cestuy-ci (133, 154, etc.) ce cy (137, 142, 143, 145), ce temps icy (135), cest homme cy (147).
  2. On sait que ce changement n’a pas été général et qu’un certain nombre d’adverbes continuent aujourd’hui encore à se former sur la forme sans e. Quoiqu’on dise épatant, épatante, on en tire épatamment, non épatantement ; le premier n’est qu’un mot nouveau, qui fera peut-être son chemin, le second sonne aux oreilles comme un affreux barbarisme.