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taisies, devenues des dogmes, cette graphie, élevée à la dignité d’orthographié, pèse encore sur la langue.

Changements intérieurs. Les formes. — Quant à l’évolution intérieure que subit alors le français, elle est, qu’on en considère les causes ou simplement la direction, non pas unique, mais double ; spontanée d’une part, ou du moins hâtée seulement par les circonstances extérieures, mais sans qu’aucune influence adventice en détermine le sens, elle se présente, au contraire, d’autre part, comme tout artificielle et savante ; de là deux classes de changements, les uns naturels, les autres hors nature.

Les changements normaux atteignent, comme à toutes les époques, à la fois la prononciation, le lexique, la grammaire de la vieille langue. Il en est un certain nombre qui méritent sans doute toute l’attention du linguiste, mais que néanmoins je ne retiendrai pas ici, parce qu’ils sont d’ordre tout ordinaire. Ainsi la réduction des hiatus conservés dans des mots comme pourrïez, dïable n’est que le corollaire des réductions analogues antérieurement opérées. Semblables faits se rencontrent dans toutes les époques. J’ajoute que, à dire vrai, les phénomènes de ce genre, qu’on relève alors, sont en nombre relativement petit. En phonétique, par exemple, où l’ancien français lui-même avait vu le jeu régulier des lois amener des changements si considérables, les nouveautés sont peu nombreuses et peu importantes ; le consonantisme de la langue reste presque intact, le vocalisme est peu altéré.

Bien plus intéressants déjà sont des faits comme la substitution du possessif masculin au féminin devant les substantifs commençant par des voyelles ou h muette, et la généralisation de ce singulier solécisme, qui nous fait dire mon amie à côté de ma mère[1]. Est-ce besoin de marquer le rapport de possession par une forme non susceptible d’élision, par suite plus sonore et plus reconnaissable ? Il est certain qu’à ce moment, si cette raison était la vraie, la substitution serait significative. En effet plusieurs changements semblent trahir le besoin de marquer plus forte-

  1. Le vieux français élidait la voyelle et disait m’amie, m’image. Il est resté m’amie devenu ma mie ; m’amour. Le premier texte où on trouve le masculin est la traduction des sermons de saint Bernard ; il ne triomphe complètement qu’au XVe siècle.