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effets bien avant l’époque de la crise. Dans le cas particulier qui nous occupe, le mouvement s’annonce très net dès le XIIIe siècle, pour certains faits bien auparavant encore. La décadence de l’ancien français est cependant du XIVe parce que c’est alors que les changements deviennent à la fois et plus généraux et plus rapides.

Nouvelles tendances dans la graphie. — Au premier aspect, ce qui frappe dans un texte du XIVe siècle, c’est la confusion et l’incohérence de la forme extérieure elle-même. Plus de tradition dans la graphie ; des fantaisies de toute sorte, où l’on démêle cependant un souci constant de l’étymologie, caractéristique de la nouvelle époque, changent la vieille figure des mots. Les consonnes se doublent (mille, flamme, souffrir, attendre, ffaire, lleur), des finales sont rétablies telles qu’elles étaient en latin (grand, accord, long au lieu de grant, acort, lonc), des groupes détruits par le jeu régulier des lois phonétiques, se reconstituent (amictié, faict, debte, soubz, escripre, beufs, clefs) ; d’autres s’établissent, qui n’avaient jamais existé ni en latin ni en roman (auctentic, apvril, complectement, aultre, doulx, chevaulx) ; lh initiale réapparaît dans les mots qui l’avaient laissée tomber, et par analogie dans d’autres où elle est tout à fait étrangère (honereux, hermite, habondance) ; le t et le c se disputent les finales en tion, sc prend la place de s (tristesce, espasce, scilence) ; x et z, par des confusions singulières, usurpent sur s (glorieux, paix, maiz, boiz, troiz) ; tout cela de façon hésitante, intermittente, au point qu’un même mot, d’une ligne à l’autre, se présente sous deux formes différentes, affublé ou non à la nouvelle mode. Ces innovations donnent à l’écriture un aspect pédantesque, les contradictions lui donnent un aspect chaotique ; l’un et l’autre traduisent assez bien l’état intérieur de la langue. Cependant ce n’est point comme signes de confusion seulement qu’il faut noter ces faits. Ils marquent le moment, je ne dirai pas où l’on commence — cette habitude remonte aux premiers temps — mais où il devient presque d’usage régulier de chercher dans l’écriture autre chose que la représentation des sons, de donner aux mots une figure, qui représente autant leur étymologie que les sons véritables dont ils sont composés. Nous verrons plus tard que ces fan-