Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 2, 1896.djvu/57

Cette page a été validée par deux contributeurs.
45
LES ROMANS DU RENARD

moins malin cette fois, il se voit enlever cette proie par Tibert. Il ne manque pas non plus de réminiscences de la scène du Jugement, puisqu’on voit Belin le mouton et sa femme Beline apporter à la cour le cadavre de leur fille Giermette, victime de la voracité d’Isengrin ; le coq Chantecler crier vengeance contre Hubert le milan qui a tué ses poussins ; Pelé, le rat, et Chenue, la souris, se lamenter sur la mort de leurs petits, mangés par Mitous, un des fils de Tibert. Outre que ces tableaux sont de pâles et insipides imitations des scènes de l’ancien Roman, ils produisent un contraste des plus choquants avec l’épisode qui les précède, celui-là tout humain, qui nous montre Renard devenu le confident des amours du roi Noblon et le trompant indignement en lui volant sa maîtresse Harouge, la luparde. La suite n’est pas moins anthropomorphique. Nous y retrouvons un assaut de Maupertuis ; Noblon et Renard échangent des lettres de menaces ; ce dernier construit, pour échapper à la colère du roi, un navire allégorique ; Noblon, pour l’atteindre, en construit un autre non moins idéal ; le premier est le repaire de tous les vices, le second est l’asile de toutes les vertus. Avant que les deux navires s’entrechoquent, Renard adresse une nouvelle lettre de menaces au roi et une épître amoureuse à chacune de ses anciennes maîtresses, la lionne, la louve et la luparde. Elles se pâment d’aise en la lisant, tirent au sort celle qui doit posséder à jamais l’irrésistible don Juan : c’est Hersent qui est désignée, et elles en informent leur amant par une missive rédigée en commun. Renard, vexé de ce qu’elles se sont fait des confidences, et surtout de ce que le sort a favorisé Hersent, veut se venger d’elles. Grimbert lui a révélé les propriétés mystérieuses de l’aimant. Il se rend à la cour, déguisé en charlatan, et présente au roi ce précieux talisman grâce auquel, assure-t-il, tout mari trompé peut faire révéler à sa femme, durant son sommeil, les infidélités dont elle s’est rendue coupable. Noblon, Isengrin et le léopard demandent aussitôt à expérimenter cette extraordinaire vertu, et, instruits bien vite de leurs infortunes conjugales, ils rouent de coups leurs femmes et les chassent. C’est ce que voulait Renard. Il attire les fugitives dans son château de Passe-Orgueil et se crée un harem à son usage. Nous assistons alors à