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IV. — Le XIVe siècle.


Vers le milieu du XIVe siècle, les pires fléaux, l’invasion, la guerre civile, la peste désolent à la fois la France qui tombe dans un état effroyable d’anarchie et de misère. Le règne de Charles V lui procure à peine, au prix des plus lourds sacrifices, un instant de relâche. Lui mort, sous des régents sans scrupule, un roi fou, une reine criminelle, la situation devint plus terrible encore, et il sembla, comme dit un contemporain, que le pays était à l’agonie, et qu’il allait périr, pour peu que son mal durât. On sait comment il fut sauvé par une prodigieuse épopée ; néanmoins ces secousses successives avaient ébranlé la vieille société, et ruiné l’édifice que le moyen âge, avait cru fondé pour l’éternité sur la féodalité et sur l’Église. Celle-ci, malgré l’ardeur de la foi qui persiste, est compromise désormais pour longtemps par des abus de toute sorte et des désordres scandaleux. Celle-là, sous les coups de ses adversaires et sous le poids de ses propres folies, tombe à une décadence dont elle ne se relèvera plus. Comme les institutions, et plus qu’elles, l’esprit public change ; un nouvel idéal social, moral, intellectuel, commence à naître, déjà très net pour quelques-uns. Aussi sont-ce le XIVe siècle, et ceux qui le suivent, qui pourraient avec raison être appelés des siècles de moyen âge ; intermédiaires entre les temps féodaux qui finissent et les temps modernes qui commencent, ils sont à la fois un temps de décadence et un temps de préparation. Ce caractère, sensible dans la littérature, l’est aussi dans la langue. L’âge du moyen français est l’âge où la vieille langue se déconstruit, où la langue moderne se forme. Il s’ouvre peu après l’avènement des Valois, et ne se ferme qu’après celui des Bourbons. Entre ces deux dates, pourtant bien éloignées, la langue n’atteint jamais un de ces états d’équilibre où les langues se tiennent, en apparence fixées pour un temps. Le français moderne, le vieux français aussi ont eu de ces moments, le moyen français non. Il a des époques, aucun période. Les contemporains eux-mêmes se sont aperçus, presque dès