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à faire abandonner les flexions, à restreindre la formation du pluriel à l’adjonction d’une s, il a influé sur l’ordre des mots. D’une manière plus générale, il a accentué la division des dialectes, et l’évolution de la langue vers l’analyse. Mais tous ces faits ont besoin d’être rigoureusement contrôlés, et jusqu’ici les gallicismes de l’anglais n’ont été complètement étudiés que dans son vocabulaire.

Là, les apports du français sont visibles et facilement reconnaissables. On aurait tort de se figurer du reste que l’invasion du pays a été suivie d’une poussée brusque amenant une semblable invasion de mots nouveaux dans la langue indigène. Tout au contraire, l’infiltration, loin d’être torrentielle, a été assez lente, et n’a atteint sa plus grande intensité qu’au XIVe siècle, lorsque les deux races se sont fondues[1]. L’anglais moderne a conservé une foule de ces mots, parmi lesquels bon nombre que nous avons nous-mêmes perdus[2], ou dont nous avons modifié le sens[3].

D’autres appartiennent, sous des formes peu différentes, aux deux langues. Citons sous leur forme anglaise, où on reconnaîtra facilement les correspondants français : accord, advantage, adventure, air, amiable, appetite, avaunt, balance, beauty, blame, caitif, carriage, cause, company, confound, confusion, contrary, countenance, country, cruel, debate, demand, devour, discover, disdain, doubt, estate, excuse, face, flower, fortune, general, govern, guide, honest, humour, jolly, joy, language, malady, marriage, mischief, nourish, nurse, opinion, pain, parochial, please,

  1. Une foule d’auteurs, anglais surtout, ont compté les mots romans des anciens textes. Leurs calculs ne concordent pas toujours. On dit que dans la Saxon Chronicle (1086-1154), il y aurait moins de 20 mots français. En 1205 le Brut de, Layamon en aurait à peine 100 ; en 1298 les 500 premiers vers de Robert de Gloucester en auraient 100 ; en 1303 les 500 premiers de Robert Manning, de Brunne, 170. Mais nous avons vu plus haut le cas qu’il faut faire de semblables calculs, pour lesquels on semble s’être passionné en Angleterre. (Voyez dans Elze, Grundriss der englischen Philologie, p. 241, une page intéressante sur ce point, malheureusement gâtée par des préoccupations étrangères à la science ; cf. Baret, Et. sur la l. anglaise au XIVe s., p. 39 et suiv.).
  2. Dainty, v. fr. daintié (friandise), to distrain, v. fr. distraindre (saisir) ; cattels,. fr. castels (biens, meubles) ; to indite, v. fr. enditer (dicter, composer) ; trife, V. fr. estrif (lutte) ; galilee v. fr. galilée (portique) ; meiny, v. fr. maisnie (gens de la maison) ; to plash, v. fr. plaissier (entrelacer) ; pledge, v. fr. plege (caution) ; plenty, v. fr. plenté (abondance) ; ravinous v. fr. ravinos (impétueux) ; revel, v. fr. revel (fête, banquet) ; roamer, v. fr. romier (voyageur, vagabond), remember, v. fr. remembrer (rappeler), etc.
  3. Cf. les mots devise, dais, canopy, to doubt, présence aux mots français devise, dais, canapé douter, présence.