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encore de ce que, seule peut-être dans le monde entier, l’Angleterre n’ait pas conservé sa propre langue, que les gens de la haute classe, qui viennent de la lignée des Normands, aient tous gardé leur langage français, et que les autres, ceux qui ne parlent qu’anglais, ne soient toute leur vie que des gens de rien. En 1300, l’auteur du Miroir de Justice fait choix du français comme étant le langage « le plus entendable de le common people ». Et Higden, moins élégiaque que Gloucester, précise encore plus, et nous rapporte que non seulement les fils des nobles, mais les ruraux qui voulaient leur ressembler s’escrimaient de tout leur effort à franciser[1]. Il exagère visiblement quand il ajoute que l’anglais n’était plus en usage que chez quelques paysans ; il est à cette époque et devient de plus en plus la langue commune, mais le français demeure encore la langue parlée et écrite par les gens comme il faut. M. P. Meyer, qui cite ce texte de Higden, dans la Préface de ses Contes moralisés de Nicole Bozon (p. LV), remarque avec raison que des livres comme les Contes confirment indirectement son témoignage, car ils « n’ont pas été faits pour le monde de la cour du roi d’Angleterre, ni même pour la société seigneuriale. Ils s’adressent bien plutôt à la classe moyenne, à des gens qui savaient l’anglais de naissance, mais qui avaient appris plus ou moins le français, et considéraient cette langue comme plus noble, et prenant place, dans l’ordre des préséances, immédiatement après le latin[2] » Toutefois, il devint bientôt visible que le français « quelque heureuses qu’eussent pu être pour l’humanité les conséquences » de ce fait, ne devait pas devenir la langue nationale de la Grande Bretagne. Depuis le milieu du XIVe siècle, sa décadence se précipite très rapidement. Il continue quelque temps à être imposé aux enfants dans les collèges comme langage usuel[3]. Des Anglais de naissance, comme Pierre Laniïtoft, continuent à s’en servir dans leurs écrits, d’au-

  1. Polychronicon, éd. Babington, II, 160 : rurales homines assi milari volentes (tiliis nobilium), ut per hoc spectabiliores videantur, francigenare satagunl omni nisu.
  2. Cf. le cas du bourgeois de Londres qui note jour par jour les événements dans une chronique en français jusqu’à l’an 17 d’Edouard III.
  3. Cf. Lyte, Hislory of the Univevsity of Oxford, 1886, p. 141 : « Bishop Stapeldon… moreover expressed his earnest désire that the Scholars should converse in French or in Latin at meat times, and at all other times when they were gathered