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l’autre son ascendant. Et les plus civilisés étaient incontestablement les Orientaux, particulièrement les Arabes et les Grecs. Parmi les Arabes, Turcs et Persans, bien peu, en dehors des interprètes officiels, semblent s’être donné la peine d’apprendre le langage des Francs[1]. Au contraire, nombre de croisés s’étaient fait instruire dans les langues indigènes, presque dès l’arrivée en Palestine. Pierre l’Ermite avait en 1098 un interprète nommé Herluin ; Tancrède lui-même savait le syriaque[2]. En 1146, au dire de Guillaume de Tyr, ce fut un chevalier qui « savait langage de Sarrazinois bien parler, qui fut député près de Moïn Eddin Anar, gouverneur de Damas[3]. En 1192 le prince Honfroy de Toron « enromançait le sarrasinois » aux entrevues que le roi Richard d’Angleterre et le prince Malek el Adel eurent près d’Arsouf, puis devant Jafla, et Baudouin d’Ibelin remplit le même office près de saint Louis pendant sa captivité en Égypte ; plus tard un frère André de Longjumeau se rencontre dans les mêmes fonctions. Ibn Djobaïr et Beha Eddin n’ont donc pas cherché à flatter l’amour-propre de leurs compatriotes quand ils ont rapporté que des seigneurs francs apprenaient l’arabe. Guillaume de Tyr confirme leur témoignage, il prétend même qu’ils le faisaient presque tous. Et il est permis de supposer que les relations diplomatiques n’étaient pas seules à les pousser à cet effort. Le même Guillaume de Tyr, né du reste, comme son nom l’indique, outre mer, et l’auteur du Templier de Tyr (qui est peut-être Gérard de Monréal) utilisaient pour leurs compositions historiques les documents orientaux. On trouve chez eux assez souvent des mots arabes traduits ; Renaud de Sagette passe pour avoir entretenu chez lui un docteur arabe chargé de lui lire les auteurs arabes.

Dans ces conditions, il n’est pas douteux que le voisinage de la civilisation musulmane ait contribué à augmenter l’influence que la science et les arts arabes exerçaient depuis longtemps sur nous. Et on sait tout ce que doivent à cette influence la

  1. En 1098 le roi de Babylone envoie quinze députés instruits dans diverses langues. (Albert d’Aix dans le Rec. des Hist. des Croisades. Hist. occid. IV, 380 A. Un captif, surnommé Machomus, sert d’interprète en 1112. (Guib. abbat., Ib., IV, 262 D.) D’autres s’appellent Beiran, Mostar.
  2. Tudeb. abbreviatus, Ib., III, p. 150 et 204 cf. Ib., 108.
  3. Guill. de Tyr, liv. III, 12. Ib., I, 724-725.