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nul autre ; quar Dieux le fist si doulce et amiable principalment a l’oneur et loenge de luy mesmes. Et pour ce il peut comparer au parler des angels du ciel, pour la grant doulceur et biaultee d’icel[1]. »

En Allemagne, s’il faut s’en rapporter au trouvère brabançon Adenet le Roi, c’était la coutume « el tiois pays »

 
Que tout li grant seignor, li conte et li marchis
Avoient entour aus gent françoise tous dis,
Pour aprendre françois lor filles et lor fis.


Et Wolfram d’Eschenbach semble se référer à la même coutume quand, dans son Parsifal, il admet que le chef des païens, le valeureux Vairefils parle français, quoique avec un accent étranger, quand ailleurs encore il fait ironiquement allusion à la faible connaissance qu’il a lui-même de ce langage[2].

À vrai dire, dans tout le monde occidental, la richesse et l’extraordinaire variété de notre littérature avaient, à défaut d’autres causes, vulgarisé notre langue. Nous aurons à reparler longuement de l’Angleterre. Ailleurs d’innombrables traductions en allemand, en néerlandais, en gallois, en norvégien, en espagnol, en portugais, en grec, des manuscrits français, exécutés un peu partout hors de France, montrent quel a été l’ascendant de notre génie, et de la langue qui en était l’instrument. L’éclat jeté par l’Université de Paris, qui attira de bonne heure tant d’étudiants étrangers, contribua de son côté, bien que le latin fût seul admis officiellement dans les écoles, à la diffusion du français. Celui-ci s’éleva ainsi, dans l’esprit des hommes du temps, sinon à la hauteur du latin, du moins aussi près de lui que cela était possible à un idiome vulgaire. Sans parvenir à être, comme le « clergeois, » une langue savante, il obtint du moins d’être considéré comme

  1. Manière de lanquage, publiée par P. Meyer. Revue crit.. 1870, p. 382, supplément paru en 1873.
  2. Willehalm, 237, 3.

    Herbergen ist loschiern genant
    Sô vil hàn icli der sprâche erkant.
    Ein ungefüeger Tschampâneys
    kunde vil baz franzeys
    Dann ich, swiech franzoys spreche.

    « Herbergen » se dit « loger ». Voilà tout ce que j’ai appris de la langue.

    Un grossier Champenois saurait bien mieux le français que moi, bien que je parle « franzoys » (c’est-à-dire : français de l’Ile de France).