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souvent aux médiocres de s’embrouiller, d’être quelque peu obscurs et difficiles à suivre. On en jugera par l’échantillon cité ci-dessous[1].

Assurément Chrestien de Troyes écrit d’un autre style[2], et si un Jacot de Forest s’entortille ainsi dans ses phrases, la faute en est plus à sa maladresse qu’à l’indétermination excessive de la syntaxe. Il importe cependant de constater que si l’état de la langue ne condamnait pas à aboutir là celui qui essayait du style périodique, en revanche aucune obligation salutaire ne le gardait d’y tomber. À condition d’observer certaines règles, la phrase moderne, si enchevêtrée, si lourde et pénible qu’elle soit, reste facile à décomposer, partant à comprendre. Le vieux français n’a pas joui de cet avantage, et c’est sans doute pour cela qu’aucun des étrangers qui se sont accordés à vanter sa douceur n’a pensé, comme plus tard, à parler de sa précision ou de sa clarté.

  1. Certes, je cuit por voir et bien l’os afermer
    Qu’il n’est mes enz ou ciel nul dieu qui puist régner,
    Ne qui puist mal ou bien vengier ne mériter,
    Ne qui veille cest siècle par reson gouverner,
    Ainz le lessent du tot contre droit bestorner.
    Quant je voi en cest mont les malvès alever
    En richèce, en honor, et servir et douter,
    Et les bons, qui es maus ne se veulent meller,
    Mes par lor simpleté veulent vivre et ouvrer,
    Cels i voi vilz tenir, si que nus apeler
    Nès veut ne avant trère n’a honor ajoster,
    Si lor voi mescheoir et granz maus endurer.
    Et les malvès sor els poesté démener,
    Ne le doit on dont bien a merveille torner,
    Quant on ce siècle voi(t) a tel belloy torner,
    Et les maux essaucier et les biens refuser.

    Jacot de Forest. Rom. de J. César, dans Constans, Chrestom., p. 125.

  2. Lui-même s’embrouille aussi parfois ; il serait facile d’en citer des preuves. Je n’alléguerai que cette phrase d’Yvain, 2921, éd. Foerster, II, 121.

    Dame, je ai Yvain trové,
    Le chevalier miauz esprové
    Del monde et le miauz antechiè.
    Mes je ne sai, par quel pechié
    Est au franc home mescheü,
    Espoir aucun duel a eü,
    Qui le fot einsi démener
    Qu’an puet bien de duel forsener.
    Et savoir et veoir puet l’an
    Qu’il n’est mie bien en son san ;
    Que ja voir ne li avenist
    Que si vilmant se contenist,
    Se il n’eüst le san perdu.

    (Cf. Ib., 1735 et suiv., cf. 855, 4862, etc.)