Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 2, 1896.djvu/541

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

au complément direct, indirect ou circonstanciel, à des déterminatifs. Maintes propositions sont ainsi littéralement retournées par rapport aux nôtres, qui, construites de la sorte, seraient sans syntaxe. Il faut ajouter que des éléments d’un même terme, sujet ou régime déterminé, verbe avec négation composée, préposition avec l’infinitif qui en dépend, se séparent librement, et entre eux s’intercalent jusqu’à des propositions entières. Le vieux français est là, on le voit, à une grande distance du français moderne, capable encore presque de rivaliser avec le latin et de suivre des périodes latines dans leurs sinuosités. Nous avons presque totalement perdu cette faculté, non toutefois par la volonté de qui que ce soit, mais par suite de l’évolution naturelle de notre langue, qui, comme beaucoup d’autres, cependant plus riches qu’elle en moyens syntaxiques, en est arrivée à marquer la fonction de certains termes, du sujet par exemple, par le rang qu’ils occupent dans la phrase.

On pourrait dans cet ordre d’idées relever nombre de faits encore. En vieux français, on trouvera dans une même phrase un mot qui a l’article, l’autre qui ne l’a pas, ni rien qui le remplace ! Là, le pronom personnel est exprimé, ici il est omis ; un verbe est construit avec plusieurs régimes : l’un est substantif, l’autre infinitif, l’autre formé d’une proposition complétive. Tantôt une préposition, un sujet, un verbe, une conjonction déjà exprimés sont répétés, tantôt ils ne le sont pas. Ainsi de suite. Cette absence de règles étroites, et aussi cette synonymie syntaxique, si j’ose risquer le mot, donnent à la phrase une souplesse et une variété remarquables.

Défaut de précision et de netteté. — De ces libres allures résulte souvent, comme on peut le penser, une certaine indécision. Je n’insiste pas sur la liberté de l’ellipse ou du pléonasme dont je parlais plus haut, quoiqu’elle donne souvent à la phrase plus que de l’asymétrie, une véritable gaucherie, mais autrement importantes sont les conséquences de l’état d’indétermination où sont restées longtemps les fonctions de certaines formes. On en trouverait des exemples dans la syntaxe des pronoms. Ainsi les formes des cas régimes des démonstratifs, quoique distinctes, n’ont pas été régulièrement distinguées. D’autre part, dans cette riche et presque surabondante collection