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LES FABLES ET LE ROMAN DU RENARD

Elles sont sans doute reliées l’une à l’autre par un avertissement du poète ; mais il semble bien qu’il ait été ajouté après coup, en 1288, lorsque Gelée eut l’idée de donner une suite à ce qu’il avait déjà conté. À la simple lecture, on s’aperçoit que ce premier et ce second livre ont été composés à deux époques différentes de sa vie, tant l’art et l’esprit en sont différents ! Il est même probable, comme on le verra, qu’une notable partie du second, la conclusion du poème, a, elle aussi, été écrite alors que le reste avait été déjà composé depuis quelque temps ; elle forme une branche isolée, un fragment, qu’on peut détacher sans rompre l’unité du tout auquel on l’a attaché ; et qui lui-même a son unité.

Le premier livre, qui est le plus court et comprend 2630 vers, ne justifie pas pleinement le titre de Renard le Nouveau donné à l’œuvre entière. Sans doute l’intention du poète est toute morale : s’il va inventer une nouvelle histoire, nous dit-il dans son prologue, c’est que Renard « multiplie », que le monde est plein de fausseté, que Convoitise y a fait un pont où montent et d’où descendent sans cesse prélats, abbés, rois, princes et comtes. Mais ne croyez pas que le ton reste si solennel. La suite est plutôt enjouée que sérieuse, et, si le poète veut nous instruire, il le fait en nous amusant. D’ailleurs le cadre des événements où s’agitent les héros est bien encore celui de l’ancien Roman : l’inimitié du goupil et du loup continue à former le fond de l’action, et, à de nombreuses allusions ainsi qu’au tour de certains épisodes, on sent que Gelée a la mémoire toute pleine des récits de ses devanciers ; il n’a point pu s’affranchir de la tyrannie de la tradition, et certes nous n’avons pas à le regretter. Aussi la satire y est-elle générale, tout aussi inoffensive que dans les branches de la seconde période du Roman de Renard : l’allégorie qui y est jointe est encore discrète ; elle est d’une trame légère et subtile ; ce n’est pas le voile lourd et épais qui assombrira et attristera tout dans la seconde partie du poème.

Le récit s’ouvre, comme dans la branche du Jugement, par un parlement. Le roi Noblon a réuni tous ses barons ; mais il n’a pas ici à faire juger le félon Renard ; il veut, en leur présence, armer chevalier son fils Orgueil. Renard et Isengrin lui chaussent ses éperons pendant qu’on le revêt d’armes allégo-