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cerait bien vite buvons, comme faisons est en train de remplacer fesons[1]. Le nom seul dont les verbes, fidèles aux anciennes formes, sont qualifiés dans les grammaires, en dit assez : on les appelle irréguliers, tant on sent peu qu’ils sont les primitifs et les véritables. Aussi quelque vivantes que soient les conjugaisons de verbes usuels comme tenir, venir, avoir, on peut dire que le système dont elles procèdent est mort. Leur maintien partiel ou total constitue un archaïsme ; ils apparaissent presque aussi difficiles à l’analyse que les verbes à radicaux empruntés à plusieurs thèmes, comme être et aller. La divergence entre la vieille langue et la nôtre est complète.

3° Enfin j’arrive au point essentiel de toute la morphologie de l’ancien français, la déclinaison casuelle. Il serait excessif de dire que notre langue actuelle n’a plus aucune notion des cas. Ils se conservent dans les pronoms personnels. Une simple phrase comme je le lui dis présente un nominatif sujet, un accusatif régime direct le, et un datif régime indirect lui. Mais on sait à quelles fonctions rudimentaires est réduite, même dans les pronoms, cette déclinaison dont les cas empiètent les uns sur les autres, l’un d’entre eux, le sujet, ne pouvant s’écarter du verbe, auprès duquel il joue le rôle d’une véritable flexion. Au contraire jusqu’au XIIIe siècle, l’article, le nom substantif, l’adjectif, l’adjectif possessif, certains noms de nombre, ont une déclinaison régulière à deux cas ; celle du pronom, à trois cas, s’étend, non comme aujourd’hui, seulement aux pronoms personnels et relatifs, mais aux pronoms et adjectifs démonstratifs, et même à des indéfinis tels que aucun, autre, nul.

Les divers paradigmes de cette déclinaison, aujourd’hui bien connue, sont peu compliqués. Originairement les féminins ont les deux cas du singulier et du pluriel semblables : singulier rose, pluriel roses. Les masculins suivent la déclinaison de murus, les autres celles de pedre, suivant qu’ils ont ou non un e muet au nominatif :

Singulier Sujet murus : li murs, pater : li pe(d)re,
Régime murum : le mur, patrem : le pe(d)re,
Pluriel Sujet muri : li murs, patres : li pe(d)re[2],
Régime muros : les murs. patres : les pe(d)res.
  1. La forme du participe est déjà faisant.
  2. Dès les origines le type en murs était prépondérant, c’est pourquoi le nominatif pluriel est ici sans s ; patres eût donné pe(d)res.