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substantivé, faculté qui depuis, malgré les besoins et les efforts de la langue scientifique contemporaine, s’est singulièrement restreinte.

Mais ces divergences s’effacent, quand on considère l’ensemble du mouvement de la dérivation impropre. Il est visible qu’ici la langue, dès ses débuts, et grâce en partie à la conquête qu’elle a faite de l’article, s’aventure bien au delà des limites où s’était tenu le latin, et que par là elle acquiert cette richesse en substantifs qui désespère tous ceux qui traduisent du français en latin, et qui est une des originalités de notre stylistique.

Dérivation propre. A. Préfixes. — Un certain nombre de préfixes latins avaient péri dans le passage du latin au français : circum, cis, extra, in privatif, infra, intra, intro, ob, paene, per, præ, præter, quasi ; toutefois nombre d’autres, et non des moins féconds, subsistaient : ad (a), ante (ains), bene (bien), bis (bi), cum (cou), contra (contre), de (de), dis (des), inter (entre), male (mal), post (puis), per (par), pro (por), trans (très), ultra (outre), etc.

De plus certains de ceux qui étaient perdus étaient rem-placés : post par après, rétro (peu usité sous la forme rière) par arrière ; in privatif par mes, minus, et non ; sub par soz (de subtus) ; extra par fors (foris), ainsi de suite. Le matériel restait donc très riche. Depuis il n’a guère fait que s’appauvrir.

Le vieux français possédait en effet : ains (ainsné, aîné, né avant) ; bes, particule à sens multiples venue de bis, qui veut souvent dire mal : bestourné, bescochier (mal tirer), qu’on trouve aussi sous la forme be dans berouette, brouette (véhicule à deux roues) et sous les formes bar, ba dans barioler, barbouiller ; cali, cal, d’origine tout à fait inconnue, qui ont servi à former des mots péjoratifs, comme colimaçon, califourchon ; fors (lat. foris) qui voulait dire dehors, comme dans fors bourg (aujourd’hui faubourg) fortraire, tirer dehors, mais qui marquait aussi erreur de direction, ou excès, dans forsené (aujourd’hui forcené) hors de sens, formener, retirer, égarer, fatiguer.

Par, qu’on trouve dans paramer (aimer tout à fait) ; por, qui paraît dans porfendre, porpenser, et qui se confondait souvent avec le précédent ; soz (sous = subtus), qui entre dans sozprendre (surprendre), sozentrer (entrer subrepticement) très, qui marquait si heureusement l’accomplissement total d’une action dans