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arrêt, cri, dédain, dégoût, délai, départ, mépris, pardon, aide, cache, cesse, dépêche, dispute, dépouille, enclave, excuse, montre, quête, traîne.

Certains de ces mots comme espoir, relief, qui ne s’expliquent que par des formes verbales de l’ancien français, montrent assez que la série est depuis longtemps ouverte. C’est là une des richesses phoniques principales du français, et il est déplorable qu’on abandonne consulte pour consultation, conserve pour conservation, et ainsi de suite, car les suffixes étant toujours en nombre très limité, l’abondance de mots formés à l’aide de semblables éléments, amène la répétition continue des mêmes consonances finales, tandis que les mots dont je parle, outre qu’ils sont brefs et légers, se terminent par des combinaisons de sons aussi variées que les radicaux, c’est-à-dire en nombre presque indéfini, et la langue, celle de la poésie surtout, tirait de là une grande partie de sa sonorité, et le charme imprévu de beaucoup de rimes.

En outre, il existe en français depuis les origines un instrument que le latin ne possédait pas : l’article, qui, entre autres avantages, possède celui-ci, très appréciable, que tout mot, ou pour mieux dire tout son quelconque, peut être substantifié par lui. Aussi n’est-ce plus seulement, à l’époque romane, des participes passés, des adjectifs, des participes présents qui peuvent devenir substantifs. On en fait avec des noms d’inventeurs, des noms de lieux d’où viennent des objets, des infinitifs, et cela avec la plus grande facilité. On en fait même avec des phrases tout entières, telles que : un faimidroit (droit de justice), un malmesert (mauvais domestique).

Il y aurait bien quelques différences importantes à signaler. Ainsi l’ancien français emploie peu, comme nous le faisons aujourd’hui, l’adjectif au singulier avec l’article, soit pour désigner une chose abstraite, le beau, l’utile, soit pour désigner un genre, une espèce : le chrétien, le Français. Un vers comme celui de Boileau,

Le Français, né malin, créa le vaudeville,


serait peu ordinaire en vieux français. En revanche on pouvait autrefois, sans restriction d’aucune sorte, user de l’infinitif