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progressivement et le nombre et l’importance des consonnes dans les mots, de sorte qu’à l’époque où la vieille langue commence à s’écrire, l’équilibre entre les sons voyelles et les bruits de consonnes, un moment détruit par la chute des atones, est rétabli.

Aussi semble-t-il que la prononciation de l’ancien français, autant, du moins, qu’on peut se l’imaginer et essayer de la reproduire d’après les faits certains qu’on connaît aujourd’hui, était plus agréable que la nôtre. Plus riche en voyelles, surtout en voyelles pures, et en diphtongues, il ne connaissait pas ces groupes de consonnes que nos mots empruntés, et particulièrement nos mots savants ont réintroduits dans le français[1].

Il avait déjà ce défaut grave que l’accent tonique de tous les mots, par suite de la chute des atones autres que a, se trouvait également sur la finale, lui interdisant par conséquent ces modulations qui donnent tant de grâce et de variété à d’autres langues. Toutefois l’e muet, beaucoup plus sonore que de nos jours, atténuait les inconvénients qui résultaient de cette monotonie, et, outre qu’il empêchait le heurt de bien des consonnes qui se choquent aujourd’hui, il établissait entre les mots qui se terminaient par e, et les autres, une difierence qui ne valait pas sans doute un balancement réel de l’accent, mais qui ajoutait cependant beaucoup à la mélodie de la phrase.

Lexique. Le fonds latin. — L’ancien français avait conservé du lexique latin un assez grand nombre de mots aujourd’hui perdus, tels que ire (ira, colère), liez (laetus, joyeux), ive (equa, jument), los (laudes, louange), issir (exire, sortir), siet (sedem, siège), soloir (solere, avoir coutume), toldre (tollere, enlever), selve (silva, forêt), sempres (semper, toujours), manoir (manere, rester), main {mane, matin), mes (missum, messager), mire (medicum, médecin), noncier (nuntiare, annoncer), oes (opus, besoin), cuidier (cogitare, penser), rover (rogare, demander), et une foule d’autres[2].

Et pour mesurer exactement la ressemblance des deux voca-


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  1. Qu’on considère excommunier, exclure, extorsion, absraclion, superstructure, etc. Ces mots, si peu harmonieux, et leurs analogues, sont presque tous modernes. Les groupes que j’y souligne n’existent pas en vieux français.
  2. Ajoutez molt (multum, beaucoup), plenté (plenitatem, abondance), di (diem, jour), iet (aetalem, âge), enz (intus, dedans), ost (hostem, armée), lez (latus, à côte), soef (suavem, doux), som (summum, sommet), onques (unquam, jamais), tramettre (transmittere, transmettre), paroir {parre, paraître), buisine (buccina.