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Aucun n’a passé sans subir quelque altération. Qu’on considère ces mots, où Roland résume les devoirs du vassal :

 
Por son signor deit hom sofrir granz mals
E endurer e forz freiz e granz calz.
Si’n deit hom perdre del sanc e de la carn.

Si on fait abstraction des fautes contre les règles de la grammaire, barbarismes et solécismes, et des abus de sens des mots, c’est du latin, et sans aucun mélange. On peut le superposer rigoureusement au français :

Pro suum seniorem débet home * sufferire grandes malos
Et indurare et fortes frigidos et grandes calidos.
Sic inde débet homo perdere de illum *sanguem et de illam carnem.

Mais seul de est intact, encore n’est-ce là qu’une apparence, car l’e, quoique écrit de même, n’y sonne plus comme en latin[1].

On a dit, et cela est juste, à condition d’être précisé, que dans cette transfiguration des mots, quelque chose du moins avait survécu, c’étaient les voyelles accentuées. En effet, tandis que les atones, la pénultième d’abord, quand l’accent du mot était sur l’antépénultième, comme dans calidos, la finale ensuite, tombaient de bonne heure[2], sauf a qui n’alla pas plus loin que la réduction à e muet, tandis que l’atone, placée avant la tonique, et qu’on a appelée contre-finale, partageait en général le traitement de la finale, les voyelles accentuées demeuraient. Et il faut entendre par là non seulement les toniques proprement dites, mais ce qu’on’a appelé les contre-toniques, c’est-à-dire les voyelles qui portaient l’accent secondaire dans le latin populaire de la Gaule, et qui, dans les mots *cotisuetumen, *mansionatam, *monisterium, *veniraio, bonitatem étaient les initiales con, man, nio, ve, lo. Ces longs mots, quoique considérablement réduits par la chute des atones, gardèrent deux syllabes sonores,

  1. Je rappelle qu’en général, en latin, l’accent tonique porte sur la deuxième syllabe à partir de la fin (pénultième) si elle est longue, sur la troisième (antépénultième) si la deuxième est brève.
    Félix qui potuit rérum cognôscere causas !
  2. Dans seignor (seniorem), granz (grandes) on a des exemples de la chute de la finale ; calz (= calidos), freiz (= frigidos), perdre (= perdere) montrent en même temps la chute de la pénultième, sofrir (= * sufferire) a perdu la contrefinale fe