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souvent été reprochés. Il en avait plusieurs ; dès avant le Xe siècle a et e étaient atteints, mais ō ne se forma que dans XIIe siècle, le Roland l’ignore encore, et i, u semblent n’avoir été nasalisés que beaucoup plus tard.

Les consonnes de l’ancien français sont peu difYérentes de celles du latin ; les simples sont comme en latin b, p, d, t, g, c ; f, v, s, i (= y) l, r, m, n. On retrouve même l’h aspirée, que le latin avait laissée tomber, mais que l’influence germanique avait réintroduite. En plus le vieux français avait une s douce, la même que nous avons conservée dans chose, rosée ; un j, un ch (originairement prononcés dj, tch) ; le latin n’avait qu’une consonne double z (= ts) ; elle a subsisté jusqu’au XIIIe siècle, et à côté d’elle avaient pris place une n et une l mouillées, que nous écrivons encore dans des mots comme régner, travailler, mais dont la dernière ne se prononce plus[1].

Changements essentiels survenus depuis l’époque latine. — Toutefois les quelques différences, que je viens de noter, entre les éléments phoniques du latin et du français, ne donnent aucune idée des divergences radicales qui séparent la prononciation du latin, à la plus basse époque de la décadence, de celle de ce même latin devenu le français, si haut que les textes permettent de remonter. Encore que certains faits, l’apparition de sons nouveaux, ainsi de diphtongues telles que ui, oi, ou de voyelles telles que I’ü, soient caractéristiques de la nouvelle époque, ce qui, dans le développement des langues, est bien plus caractéristique des lieux et des temps, ce sont ces altérations qui, même sans créer de nouveaux sons, atteignent les mots, remplacent les sons qui les composent par d’autres, ou les éteignent, de telle sorte que ces sons, tout en continuant à faire partie du matériel de la langue, disparaissent des mots où ils figuraient, et que ceux-ci, ainsi modifiés, prennent une nouvelle physionomie.

Sous ce rapport, entre l’époque gallo-romaine et l’époque française, les changements avaient été si nombreux qu’ils constituaient un véritable bouleversement. Quoique la multiplicité

  1. Le français a connu quelque temps les th de l’anglais, par lesquels sont passées les dentales médiales avant de tomber : pedre (patrem) est devenu pe (th) re avant d’être réduit à pére, puis père.