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qui ait affecté le vieux français, je veux parler de la vocalisation de l’l, qui commença au XIIe siècle, eut pour effet d’augmenter encore la proportion des diphtongues déjà existantes dans les mots[1] et le nombre même des sons composés. On vit reparaître l’au, qui, dernière survivante des diphtongues latines, avait disparu à son tour dans le passage du latin au français, et que la dissolution de l rendit cinq siècles après à la langue[2], une nouvelle triphtongue eau, naquit à sa suite. Nous l’écrivons encore dans beau, manteau, chapeau[3]. Elle s’est longtemps prononcée.

Il est vrai de dire que, sous l’influence de la tendance qui, en français moderne, devait triompher partout, des réductions s’opérèrent de bonne heure. Dès la fin du XIe siècle, ai tend à se confondre avec è ouvert, plus tard ui, ie, renversent le rapport de leurs éléments, et transportent l’accent sur i, e, tendant à sonner comme aujourd’hui dans lui, pied ; au XIIIe siècle, les diphtongues ói, oòi, originairement distinctes, tendent à se confondre dans le son commun de . Néanmoins l’existence des diverses combinaisons dont nous avons parlé est demeuré dans l’ensemble assez stable, pendant cette première période de la vie de notre langue, pour qu’elles en constituent un élément phonique essentiel. Il n’y a point de doute que ces diphtongues et triphtongues ne contribuassent à lui donner beaucoup d’harmonie, en introduisant dans le corps même des mots des modulations musicales et chantantes, analogues à celles de l’italien, mais plus variées encore et plus éclatantes.

Il faut ajouter enfin que, bien qu’on ne soit pas pleinement d’accord sur ce point, l’ancien français n’était pas infecté au même degré que le français actuel des sons nasaux qui lui ont

  1. Ainsi eu, venant de el, vint s’ajouter à eu provenant de òu, óu, uo : chevels = cheveux ; ieu venant de iel (ciels = cieus), à ieu provensant de eu (ébrieu, dieu).
  2. Au était devenu o : causa = chose, aurum = or, pauperum = povre (écrit par imitation du latin pauvre) ; à la fin du XIIe siècle, altre, albe devinrent autre, aube, et ainsi dans tous les mots où l était suivie d’une consonne. De là vient que nous disons : à l’enfant et au contraire au chef (= al chef.) De là vient aussi que mal fait au pluriel maus (= mal-s) ; cheval, chevaus (= chevals). L’x moderne provient d’une erreur ; on a pris l’abréviation x = us, qu’on trouve dans l’écriture, pour la lettre x, et on a écrit chevaux, en ajoutant un u.
  3. Eau vient de èl, devenu Eal, puis eAl, devant une consonne (XII-XIIIe s.), la s’y est vocalisé comme dans les autres cas : d’où, suivant qu’on ajoute ou non s de flexion, au suj. pluriel : novel, au régime : novels= noveals = noveaus ; au sujet pluriel bel, au régime : bels, beals, beaus. (Cf. aujourd’hui : un nouvel ami, de nouveaux livres, un bel homme, de beaux hommes.)