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LES FABLES ET LE ROMAN DU RENARD

Ducs et princes la portent sur eux ; il n’est point de jeunes élégants qui ne l’aient « dessus leurs cheveux » et ne la préfèrent à la plus blanche hermine ; prélats, évêques, abbés, prêtres, moines, jacobins, cordeliers, béguins la cachent sous leur chape : orfèvres, émailleurs, chasubliers, drapiers, cordonniers s’en disputent les poils.

Renars est mors, Renars est vis,
Renars est ors, Renars est vils
Et Renars regne[1],


s’écrie encore Rutebeuf dans son Renard le Bestourné (mal tourné), petite pièce satirique dont les allusions nous sont restées obscures. C’est ce cri que semblent avoir entendu les auteurs du Couronnement Renard, de Renard le Nouveau et de Renard le Contrefait. Ces trois poèmes sont le développement de cette nouvelle conception qui fait de Renard le maître du monde, le diable en personne qui affole chacun, sème partout le mal et l’injustice, l’ennemi contre lequel tous doivent se liguer afin de le combattre et de le terrasser.

Le Couronnement Renard. — Le Couronnement Renard a été composé en Flandre dans la seconde moitié du xiiie siècle. Le poète qui l’a écrit ne s’est point fait connaître à nous ; on peut néanmoins fixer approximativement la date de la composition de cette œuvre grâce au prologue et à l’épilogue où il est question d’un comte Guillaume dont on doit déplorer la perte. Il s’agit, selon toute vraisemblance, de Guillaume de Flandre, qui se croisa avec saint Louis en 1248 et mourut dans un tournoi à Trasaignies dans le Hainaut en 1251. C’est donc peu après 1251 que parut cette longue histoire, en plus de 3000 vers, de Renard qui, sur les conseils de sa femme, brigue la royauté et parvient à monter sur le trône. Le tout est une allégorie assez peu transparente. À en juger par les vers, d’ailleurs assez obscurs, du prologue et de l’épilogue, l’auteur semble avoir voulu donner une leçon aux princes trop faibles, leur montrer comme il faut se défier des méchants,

  1. Renard est mort, Renard est vivant, — Renard est hideux, Renard est vil, — et Renard règne.