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ses environs. Toutefois l’histoire détaillée de son extension est encore à faire. Pour la plupart des pays où se parle aujourd’hui la langue française, nous ignorons quand cette langue a commencé à s’y introduire, et à la faveur de quels événements. Et cette histoire si intéressante, si intimement liée à celle du développement de l’unité nationale, est, autant qu’on en peut juger par le peu qu’on en sait, extrêmement variée de province à province et de ville à ville[1]. Dans le midi, c’est au cours du XIVe siècle que, d’après M. Giry[2], le français se substitua dans les actes aux anciens dialectes, qui luttaient avec le latin depuis la fin du XIe siècle. Dans le nord, les villes de Flandre, de Belgique, d’Artois, de Lorraine, commencent à se servir de la langue vulgaire, pour des contrats privés, dès le début du XIIIe siècle. À peu près à la même époque il apparaît sur les confins de la langue d’oc, en Aunis, en Poitou, un peu plus tard en Touraine, en Anjou et en Berry, mais partout avec des traces dialectales. Il faut arriver au XIVe siècle, où le français est vulgarisé par la chancellerie et l’administration royales, qui s’en serventdésormais ordinairement[3], pour que la langue vulgaire des chartes s’unifie dans un parler commun, qui est celui de Paris, devenu langue officielle. La littérature dialectale disparut à peu près dès le XIVe siècle, en même temps que les documents dialectaux, mais, soit pour la raison que les dialectes littéraires n’avaient guère été que des créations un peu artificielles, soit parce que l’homme, même sans instruction, s’accoutume facilement à deux langues, l’une qu’il écrit et qu’il lit, l’autre qu’il parle, soit surtout parce qu’il vit sans lire et sans écrire, cette disparition de toute littérature ne fut nullement mortelle aux patois parlés.

Malgré la centralisation croissante, les rapports toujours multipliés avec les provinces voisines et avec Paris, et les mille causes qui ont travaillé en faveur du français, les patois vivent toujours, et la lutte, dont malheureusement nous ignorons à peu près toutes les phases, dure encore. Elle finira visiblement par

  1. M. Paul Meyer travaille depuis longtemps à en réunir les matériaux.
  2. Manuel de diplomatique, p. 467 et suiv. En Dauphiné, on trouve déjà des actes diplomatiques en français au milieu du XIIe siècle. V. Devaux, Essai sur la langue vulgaire du Dauphiné septentrional au moyen âge. Paris et Lyon, 1892.
  3. Les documents en français ne semblent pas remonter au delà de Louis IX.