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par Mistral dans une sorte de langue unique, qui a pour base les formes de son dialecte, mais prend partout les éléments de son vocabulaire, essaient de reprendre la lutte avec le français du Nord. Toutefois leur histoire ne nous appartient pas, puisque l’histoire de la littérature française n’est que l’histoire de la littérature écrite dans les dialectes français proprement dits.

Les dialectes français. — Ceux-ci ont été, dès le moyen âge, classés en quatre groupes par Roger Bacon, lors d’un voyage qu’il fit en France en 1260 ; il distinguait le français, le picard, le normand et le bourguignon. Cette classification est longtemps demeurée traditionnelle.

La plus récente que je connaisse est celle de M. Meyer Lübke[1]. « Les dialectes du Sud-Est, dit-il, se séparent du français du Nord ; ils embrassent le Lyonnais, le sud de la Franche-Comté et la Suisse française, dont les subdivisions dialectales correspondent assez exactement aux subdivisions cantonales de Neufchâtel, de Fribourg, de Vaud et du Valais. À ce dernier parler se rattache le savoyard, qui s’étend en partie sur le versant méridional des Alpes. Ces patois se distinguent du français, principalement par la conservation de a libre ailleurs qu’après les palatales[2].

« Le français écrit est sorti du dialecte de l’Ile-de-France auquel se rattachent : à l’Est, le groupe champenois-bourguignon, et le lorrain ; au nord le wallon, qui présente des caractères très particuliers… Le picard et le normand appartiennent, par leur riche littérature du moyen âge, aux parlers les plus importants du Nord de la France. Du normand s’est détaché l’anglo-normand, qui de bonne heure, à cause de ses relations littéraires avec le français du Centre, et à la suite de l’établissement de colons venus d’autres contrées que la Normandie, montre dans son système phonétique des traits étrangers au normand… Enfin

  1. Grammaire des langues romanes, Introduction, trad. Rahiet, p. 14.
  2. L’auteur véritable de cette classification est M. Ascoli, dont nous avons parlé plus haut. C’est lui qui a constitué ce groupe qu’il appelle franco-provençal (M. Suchier lui donne le nom de moyen rhodanien). Mais M. Ascoli considérait que le franco-provençal formait un vrai groupe à part, parmi les langues romanes, tout aussi bien que l’italien, le provençal, ou le français. Cette théorie n’est pas admise par M. W. Meyer, qui rattache, comme on voit, le « français du Sud-Est » au français. Quant à la distinction à laquelle il est fait allusion ici, elle repose sur ce fait que, en français, a, tonique, libre, non précédé d’une palatale, devient e : parare parer ; patrem pere. C’est un des phénomènes caractéristiques du français du Nord. Au contraire dans la région franco-provençale, a ne passe pas à e. Parer est à Albertville parà, et père : pàre.