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échappe, par conséquent, aux lois du développement spontané.

De même il y a bien un français et un provençal, mais parce que « de bonne heure, au nord comme au midi, les écrivains ont employé, pour se faire comprendre et goûter dans un cercle plus étendu, des formes de langage qui, pour des raisons historiques ou littéraires, avaient plus de faveur que les autres, et la langue littéraire du nord étant bien distincte de celle du midi, l’opposition entre le provençal et le français a paru claire et sensible »[1].

De même encore les dialectes, là où ils existent réellement, — et leur existence historique sur certains points ne peut être niée « sans se heurter à des faits incontestables » — s’expliquent de la même manière. « Dans les pays civilisés, et qui ont une longue histoire, dit M. Gaston Paris, les phénomènes naturels sont sans cesse contrariés par l’action des volontés. Il y a eu des influences exercées par des centres intellectuels et politiques. » « Dans chaque région, dit à son tour Darmesteter, un des parlers locaux, propre à une ville ou à une aristocratie, s’éleva au-dessus des parlers voisins, gagna en dignité et rejeta les autres dans l’ombre. Les parlers locaux restés dans l’ombre sont des patois ; ceux qui sont élevés à la dignité littéraire sont des dialectes. Ainsi il se forma, dans divers centres, des langues écrites qui, rayonnant à l’entour, s’imposèrent comme langues nobles aux populations des régions voisines, et créèrent une province linguistique, un dialecte, dans lequel les patois locaux furent de plus en plus effacés et étouffés. Ces dialectes s’étendaient par initiation littéraire et non plus par tradition orale ; leur développement était un fait de civilisation et non de vie organique et naturelle de l’idiome. Dans cette nouvelle évolution linguistique, les dialectes différaient d’autant plus les uns des autres qu’ils étaient séparés par des patois plus nombreux, par des étendues géographiques plus considérables. Ils prenaient donc, en face les uns des autres, une physionomie plus caractéristique et devenaient des langues indépendantes. Ainsi se forma en France une série d’idiomes régionaux différents, que l’on désigne, en général, par le nom des provinces où ils ont fleuri, aussi bien

  1. P. Paris, Parl. de Fr., p. 3.