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chacune d’elles varie, pouvant ne pas embrasser la totalité de la province ou au contraire déborder au delà de ses limites.

Dans la même conception, il n’y a pas non plus de provençal ni de français, de langue d’oui ni de langue d’oc. « Ces mots, suivant M. Gaston Paris, n’ont de sens qu’appliqués à la production littéraire[1].

« On le voit bien, si on essaye, comme l’ont fait il y a quelques années deux vaillants et consciencieux explorateurs, de tracer de l’Océan aux Alpes une ligne de démarcation entre les deux prétendues langues. Ils ont eu beau restreindre à un minimum les caractères critiques qu’ils assignaient à chacune d’elles, ils n’ont pu empêcher que tantôt l’un, tantôt l’autre des traits soi-disant provençaux ne sautât par-dessus la barrière qu’ils élevaient, et réciproquement… L’ancienne muraille imaginaire, la science, aujourd’hui mieux armée, la renverse, et nous apprend qu’il n’y a pas deux Frances, qu’aucune limite réelle ne sépare les Français du nord de ceux du midi, et que d’un bout à l’autre du sol national nos parlers populaires étendent une vaste tapisserie dont les couleurs variées se fondent sur tous les points en nuances insensiblement dégradées. »

À vrai dire, il faut aller plus loin encore, comme M. Grœber l’a très bien vu, dans l’essai de réfutation qu’il a tenté de cette doctrine. Si on admet les principes de M. P. Meyer, ce n’est pas seulement entre le français et le provençal que la barrière s’abaisse, c’est entre tous les parlers romans de l’ouest. Du côté des Alpes, entre le domaine italien et le domaine français, la transition se fait par les parlers italiens de la frontière, si voisins du provençal ; du côté des Pyrénées, entre le domaine espagnol et français, elle se fait par le gascon. Tout le domaine du roman continental, exception faite du roumain, ne forme donc qu’une masse, au sein de laquelle il est chimérique le plus souvent de vouloir tracer des démarcations. Personne, bien entendu, ne songe, en vertu de ces considérations, à nier l’individualité trop évidente des langues italienne, espagnole ou française, mais cette individualité n’est plus admise que comme le résultat d’une culture historique et littéraire, qui

  1. Parlers de France, p. 3