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lectes (normand et picard) que l’on voudra distinguer. Ce caractère, on le choisira arbitrairement selon l’endroit où, d’après une idée préconçue, on voudra fixer la limite. Ce sera, je suppose, la formation en oe des imparfaits de la première conjugaison[1]. Mais de ce fait linguistique on fera un usage tout aussi arbitraire que du c devant a ; on trouvera commode de le regarder comme un caractère du normand du côté de l’est, et on l’abandonnera du côté de l’ouest, parce que dans cette direction il dépasse très notablement les limites de la Normandie, et qu’on ne voudra point appeler normand le parler de l’Anjou et du Poitou[2] »

Ces principes posés, M. P. Meyer conclut : « Il n’y a pas moyen de procéder autrement, je l’accorde, mais ce n’en est pas moins procéder arbitrairement. Il s’ensuit que le dialecte est une espèce bien plutôt artificielle que naturelle ; que toute définition du dialecte est une definitio nominis et non une definitio rei.

« C’est pourquoi je suis convaincu que le meilleur moyen de faire apparaître sous son vrai jour la variété du roman consiste non pas à tracer des circonscriptions marquées par tel ou tel fait linguistique, mais à indiquer sur quel espace de terrain règne chaque fait. »

On voit la portée du raisonnement. Il aboutit à prouver que, si nous renonçons à prendre du côté du Nord un fait, du côté du Midi un autre fait, en changeant illogiquement de critère, il n’y a plus ni dialecte bourguignon, ni picard, ni normand à proprement parler, c’est-à-dire en entendant par là des groupes constitués spontanément avec leurs traits spécifiques et leur individualité propre. Il n’y a plus qu’un langage à la fois commun et différent d’un bout du territoire à l’autre, auquel on donne divers noms de région pour une raison de commodité, afin de le désigner rapidement sous la forme particulière qu’il prend dans cette région, bourguignonne, picarde ou normande, étant bien entendu que l’ensemble des particularités linguistiques qu’on résume ainsi ne se rencontre nulle part réuni, et que l’aire de

  1. Cantabam = chantoe, chantoes, etc.
  2. Görlich, Die nordwestlichen Dialekte der langue d’oïl, p. 81 (Frz. Sludien, V, et Die südwestlichen Dialekte der langue d’oïil, p. 120 (Ib., III), a en effet établi que ces formes se trouvaient en Touraine, en Anjou, en Aunis et en Poitou, tout comme en Normandie.