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sion, finissent par se résoudre à l’unité linguistique fondamentale, laquelle est, suivant le cas, le parler d’un village, d’un hameau, ou même d’une famille. La cause primitive qui a produit cet état de choses est l’extension du latin par rayonnement. Implanté sur un certain nombre de points, il a commencé par y recevoir, en raison des habitudes physiologiques et psychologiques des populations qui y habitaient, une empreinte déterminée, et s’y est développé suivant des tendances qui pouvaient différer. Porté ensuite en cet état, de chaque point aux régions avoisinantes, par une expansion progressive, comparable à celle du français littéraire d’aujourd’hui, il a formé autour du centre primitif de nouveaux centres ; là, par suite de nouvelles influences locales, il a subi des modifications, parfois divergentes, mais en retenant néanmoins les principaux traits primitifs qu’il avait pris à son point de départ. Et ainsi de suite : le mouvement commencé au lendemain même de la conquête romaine s’est propagé suivant ce procédé d’endroit en endroit, substituant aux langues indigènes un parler à la fois un et divers, jusqu’à ce qu’il vînt se heurter à quelque obstacle naturel qui pût l’arrêter : montagnes, marais, espaces inhabités, etc., ou bien à d’autres langues ou dialectes. Dans ce dernier cas, si le dialecte rencontré était de même nature, c’est-à-dire roman, une influence réciproque ne tardait pas à naître des rapports de voisinage ; des traits linguistiques passaient d’un domaine dans l’autre, altérant la physionomie de chacun des dialectes, et formant des sortes de zones neutres, où la limite aujourd’hui indécise ne saurait se figurer par une ligne. Le même travail s’étant accompli à l’intérieur du dialecte lui-même sur certaines voies de communication, un trouble apparent, résultat d’influences séculaires, masque parfois aujourd’hui les parentés ou les divergences originelles du patois, les faits primitifs ayant pu être recouverts par d’autres, mais il n’en reste pas moins légitime et nécessaire de rechercher et de rétablir cette hiérarchie des dialectes et des sous-dialectes, historiquement réelle, et de chercher dans les données que peut fournir la géographie historique sur l’ancienneté des localités, leur importance relative et leurs relations politiques, commerciales, intellectuelles, l’explication des rapports dans lesquels se trouvent aujourd’hui leurs parlers.