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contact le développement spontané de chacun. Mais la déchéance actuelle des plus humbles de ces parlers, aujourd’hui réduits à l’état de patois, ne saurait faire oublier leur importance passée. Produits directs des transformations locales du latin, ils ont été longtemps, dans leur région, la langue commune, parlée et souvent écrite, comme le français l’était dans la sienne. En effet, ni par sa valeur linguistique, ni par sa valeur littéraire, celui-ci n’occupait un rang à part ; sa prédominance, et elle ne s’est établie, nous le verrons, que lentement, il la doit aux circonstances politiques et au rôle historique du pays où il s’est formé.

Sur les faits ainsi sommairement exposés, maintenant qu’on a définitivement abandonné les vieilles théories qui faisaient des patois soit du français dégénéré, soit des descendants lointains des langues antérieures à l’occupation latine, il n’y a plus aucun doute ; au contraire, sur la manière de classer les parlers dont il vient d’être question, de considérer les groupes qu’on en forme, il y a deux théories, très éloignées l’une de l’autre, que je suis obligé d’exposer sommairement, parce qu’elles dominent toutes les études dialectologiques, auxquelles se livrent sans doute un certain nombre de mes lecteurs.

La première de ces théories, généralement admise jusqu’à nos jours, et encore énergiquement soutenue en France par MM. Durand de Gros, Tourtoulon, en Allemagne par MM. Grœber, Horning, en Italie par M. Ascoli, consiste à admettre qu’il s’est constitué, dès les origines, dans l’empire du roman, et particulièrement du gallo-roman, des provinces linguistiques plus ou moins grandes, mais en général d’une certaine étendue, dont le parler, tout en différant d’un point à l’autre, présente à l’observateur certains traits distinctifs, qui en sont les caractères, et qu’on retrouve sinon en totalité, du moins en partie, sur les différents points de la province. Chacune de ces provinces, dont les limites ont pu être déterminées par toutes sortes de causes, physiques, ethnographiques, politiques, forme un dialecte, qui se subdivise en sous-dialectes ; ces sous-dialectes occupent à l’intérieur de la province linguistique une sorte de canton, et sont au dialecte ce que celui-ci est à la langue à laquelle il appartient. Enfin ces sous-dialectes comprennent à leur tour des variétés et des sous-variétés qui, en diminuant toujours d’exten-