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LES ROMANS DU RENARD

et, dans l’effort qu’il fait, il desserre une de ses pattes, et le fromage tombe devant Renard.

Presque tout serait à citer, presque tout est à admirer dans ces branches qu’a traduites le poète allemand et dont, grâce à lui, nous pouvons reconstituer en grande partie la forme simple et gracieuse. C’est partout la même gaîté, le même naturel, la même vérité d’observation.

Branche du Jugement de Renard. — Dans les branches de la seconde période, on ne constate pas moins d’entrain et de verve, mais la naïveté et la vraisemblance disparaissent de plus en plus. L’anthropomorphisme entre de plain-pied dans le Roman ; il s’y sent désormais les coudées franches ; il vient d’ailleurs à l’aide de poètes qui, n’ayant presque plus rien à exploiter après leurs devanciers, ne trouvent d’autre moyen, pour renouveler leurs récits, que de leur donner la forme d’une parodie de la société humaine. Mais quelle inégalité de mérite entre ces nouveaux ouvriers ! Si certains ont su conserver aux vieilles histoires, sous ce nouveau vêtement, leur air aimable et bon enfant, combien ont eu la main lourde ! Combien, par leur manque de mesure et de goût, ont tout déformé, tout enlaidi ! Que penser de ces scènes grotesques du chat qui renverse un prêtre de son cheval et s’enfuit sur cette monture avec un missel sous le bras ; de Renard et du loup qui se font passer pour « marchands d’Angleterre » et troquent à un prêtre des vêtements contre un oison ; de Renard qui en mordant un fermier au pied en fait son humble serviteur et le force à lui accorder tout ce qu’il désire, ou qui roue de coups de bâton un vilain et le menace de le dénoncer au comte pour délit de chasse ! Il y a certes beaucoup à critiquer dans ces nouveautés ; bien des fragments de branches ou même des branches entières sont à peine lisibles, tant elles sont d’une désespérante platitude ou d’une écœurante grossièreté ! Il y a heureusement autant, sinon plus, à louer. En transportant les bêtes dans le


    louange, — ouvre le bec, et jette un son. — Et Renard dit : « C’est bien. — Vous chantez mieux que vous ne faisiez. — Encore si vous le vouliez, — vous iriez un ton plus haut. » — L’autre, qui se croit habile chanteur, — commence de nouveau à crier : « Dieu, dit Renard, comme elle devient claire, — comme elle est pure votre voix ! — Si vous vous absteniez de noix, — au mieux du monde vous chanteriez. — Chantez une troisième fois ! » — Celui-ci chante à pleine haleine.