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LES FABLES ET LE ROMAN DU RENARD

entre les deux animaux cette interminable « noise » dont les péripéties, d’abord grotesques et comiques, deviennent à la fin presque tragiques.

L’accord règne tout d’abord entre les deux animaux : ils vivent en associés, en compères. Isengrin, quand il va à la chasse, confie sa femme à Renard qui s’empresse de lui faire sa cour. Mais l’inimitié ne tarde pas à éclater. Un jour, pour satisfaire la faim enragée d’Isengrin, Renard, contrefaisant l’estropié, attire à sa poursuite un paysan ; celui-ci, afin de courir plus vite, a jeté à terre un gros quartier de porc qu’il avait sur l’épaule. Isengrin survient aussitôt, s’empare de ce « bacon », et quand Renard arrive pour réclamer sa part, le glouton a déjà tout dévoré et lui offre ironiquement la hart. Une occasion s’offre aussitôt à Renard de se venger. Isengrin, bourré de lard, a soif ; il l’emmène dans un cellier, et là le loup s’enivre si bien qu’il chante à tue-tête, attire par ses cris les paysans et est roué de coups.

Renard se sépare de son compère et décide Bernard l’âne et Belin le mouton, mécontents de leur sort, à chercher fortune avec lui. Ils ne vont pas loin. Ils s’étaient installés, pour y passer la nuit, dans la maison du loup qui était absent. Celui-ci, voulant rentrer chez lui, est mis en piteux état par les trois voyageurs qui se sauvent. Mais Hersent les atteint avec une troupe vengeresse de loups ; les fugitifs grimpent sur un arbre ; Bernard et Belin ne peuvent rester longtemps accrochés aux branches, se laissent tomber, et écrasent dans leur chute quelques-uns de leurs ennemis ; les autres s’enfuient épouvantés. Bernard et Belin rentrent chez eux, dégoûtés des voyages. Renard, lui aussi, redoutant la vengeance d’Isengrin, dont le ressentiment n’a fait que croître depuis qu’il le soupçonne d’être l’amant de sa femme, se retire et s’enferme dans son château de Maupertuis.

Un jour qu’il faisait rôtir des anguilles, Isengrin qui passait par là, affamé, lui demande à manger. Renard lui promet du poisson en abondance et le conduit, à la tombée de la nuit, à un vivier. Il lui fait croire qu’il n’a qu’à plonger sa queue dans l’eau ; les poissons viendront s’y prendre. Comme on était en hiver, l’eau gèle, la queue est bientôt prisonnière. À l’aube,