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LES ROMANS DU RENARD

temps du Glichezare. Cette courte et rapide analyse donnera une idée de la nature et de l’ensemble du cycle déjà presque complet au milieu du xiie siècle.

C’est d’abord le débat entre Renard et quatre animaux plus faibles que lui. Il s’en prend successivement au coq Chantecler, à la mésange, au corbeau Tiécelin et au chat Tibert, et chaque fois sa ruse échoue piteusement.

Chantecler commence par être dupe : malgré l’avertissement d’un songe, malgré les sages avis de sa femme Pinte, il prête l’oreille à Renard qui arrive à le persuader de chanter les yeux fermés comme son père Chanteclin ; il est saisi et emporté au moment où il jetait une note éclatante. Mais comme, l’alarme donnée, des paysans poursuivaient le ravisseur, Chantecler lui conseille de répondre à leurs injures ; Renard desserre la gueule, et le coq s’envole à tire-d’aile. — Ainsi déçu par un « petit cochet » de ferme, comme il le dit, il va se faire berner par une mésange. Celle-ci, perchée sur un arbre, accepte sournoisement de venir donner un baiser de paix à son ennemi qui sera étendu sur le dos, les yeux fermés. Elle prend « plein son poing » de la mousse et des feuilles, descend de branche en branche, et les introduit prestement dans la gueule du goupil au moment où celui-ci croit la happer. — Tiécelin le corbeau est, comme Chantecler, une première fois dupe de Renard. En se haussant pour lui montrer sa belle voix, il écarte ses pattes l’une de l’autre, et le fromage qu’elles tenaient enserré tombe à terre. Mais Renard veut avoir aussi le corbeau. Il prétexte une blessure qui l’empêche de se traîner et prie Tiécelin de venir ôter de près de lui ce fromage dont l’odeur l’incommode. Tiécelin descend, et ce n’est qu’à grand’peine qu’il échappe à la griffe du rusé. — Enfin Renard rencontre Tibert dont il flatte l’agilité, espérant le faire prendre à une trappe de sa connaissance ; mais, après plusieurs épreuves de course et de saut, c’est lui qui est pris au piège, et il en sort avec une patte meurtrie, heureux de ne pas avoir laissé sa peau aux mains d’un paysan.

Là finissent les mésaventures de notre héros : il a payé sa dette aux petits, aux humbles. Ce ne sont plus maintenant que victoires remportées sur la violence et la force. Alors entre en scène son implacable ennemi, le loup Isengrin ; alors commence