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LES FABLES ET LE ROMAN DU RENARD

Nous ne possédons pas à l’état intact les branches de la première période du cycle. Ce qui nous est parvenu du Roman de Renard se compose de reproductions moins naïves et plus prolixes des récits antiques. Mais il nous est possible de reconstituer en partie ceux-ci grâce à deux poèmes, l’un latin, l’autre allemand, antérieurs à notre collection et qui sont certainement sortis des contes français.

L’Isengrinus et le Reinhart Fuchs. — Le poème latin, l’Isengrinus, fut composé au milieu du xiie siècle par maître Nivard de Gand. Dans un cadre clérical et satirique, l’auteur a enchâssé des histoires d’animaux qu’il avait la plupart empruntées à des poètes français. Il s’en est servi sans doute dans un dessein particulier : le protagoniste du drame est, en effet, le loup ; le renard n’apparaît qu’au second plan ; sous le masque d’Isengrinus, Nivard a voulu tourner en ridicule les mœurs éhontées des moines et des abbés, faire entendre d’amères revendications contre Bernard de Clairvaux, le pape Eugène III et Roger de Sicile. Aussi chaque épisode est-il encombré d’un amas de sentences, d’un luxe débordant d’interminables dialogues qui l’enserrent et l’étouffent comme dans une cangue épaisse. Mais si l’on brise cette enveloppe, si l’on met le conte à nu, celui-ci apparaît naïf et sans prétention, amusant même et tel que nous le trouvons dans les branches les plus ingénues du Roman de Renard.

Nous saisissons beaucoup plus sur le vif, la manière des anciens trouvères dans le poème allemand, le Reinhart Fuchs, écrit vers 1180 par l’Alsacien Henri le Glichezare. Ici, en effet, l’auteur n’a pas adapté les contes à une fin particulière et étrangère au récit lui-même ; il s’est contenté, et dans un style souvent charmant, de traduire aussi fidèlement que possible les histoires françaises du goupil ; ce n’est que très rarement qu’il a pris des libertés avec le texte. Il a même eu le mérite, rare pour un interprétateur de cette époque, de former un tout harmonieux de ces histoires qui lui avaient été sûrement transmises en grande partie indépendantes les unes des autres ; il a su les grouper artistement, ménageant l’intérêt, et conduisant le lecteur de surprise en surprise.

Voici ces histoires telles à peu près qu’elles étaient contées du