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LES FABLES

ture et la modération, elle ne cesse de prêcher aux petits l’obéissance et l’aversion de la félonie :

Nus ne puet mie avoie honeur
Qui honte fait a son seinur.

Et si l’on n’est point récompensé de son dévouement, si l’on souffre, que faut-il faire ? Se révolter ? Non, mais se résigner et

Prier a Dieu omnipotent
Que de nous face son plaisir.

Dans les autres Isopets on trouve une morale moins spéciale, moins individuelle. Elle ne s’adresse plus à certaines classes d’une société déterminée, mais à l’homme de tous les temps et de tous les lieux. Cette généralité d’observation, nos poètes l’avaient sans doute rencontrée dans leurs originaux latins dont les épimythies sont la plupart d’une lamentable banalité. Mais ils ont ceci en propre d’avoir complaisamment développé cette philosophie enfantine, d’avoir déployé toutes les ressources de leur style pour délayer ces préceptes familiers qui veulent être rendus en quelques traits vifs et précis et ne valent que par la brièveté de l’expression. C’est que ces poètes ont vécu à une époque de didactisme à outrance, au xiiie siècle et au xive où sévit la manie de moraliser sur tout, où chacun s’ingénie à étaler une science creuse et insipide d’interprétation allégorique. Les fabulistes moins que d’autres pouvaient échapper à cette influence malsaine. Il ne faut pas trop leur en vouloir. Car s’ils se montrent prolixes à l’excès dans leurs réflexions morales, leur bavardage est loin d’être toujours de mauvais aloi. Souvent, en effet, il dénote un sérieux effort d’étudier le cœur humain et d’en analyser les sentiments. Là, plus que partout ailleurs, on saisit l’éveil de la pensée philosophique à la limite du moyen âge.