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LES FABLES

On serait sans doute en droit de reprocher quelquefois à ce poète sa prolixité. Souvent même, comprenant mal le texte qu’il avait sous les yeux, il en a dénaturé la pensée et a faussé l’esprit du récit. On ne peut cependant lui dénier une valeur personnelle ; il fait sienne, la plupart du temps, la plate narration de son modèle et lui donne du coloris.

La morale dans les Isopets. — Il n’en est guère de même des autres auteurs d’Isopets. Ceux-ci, en général, ou paraphrasent platement leur original ou rivalisent de sécheresse avec lui. Dans Marie de France elle-même, dont le talent d’écrivain est incontestable, le récit est froid, impersonnel ; on y chercherait en vain une observation maligne, des points de vue variés ; sobre et resserré, il coule sans cesse uniforme ; le conteur n’y intervient nulle part, ni ne montre la moindre sympathie pour ses personnages. Il est vrai que le souvenir, toujours présent à notre esprit, du génie avec lequel La Fontaine a traité l’apologue, ne peut que nous empêcher de goûter entièrement ce que les formes grêles de nos vieux Isopets ont souvent de naïf et de charmant. D’autre part, l’emploi constant du même mètre donne une réelle monotonie à leur narration, dans laquelle la variété des rythmes eût sans doute introduit plus de vie. En somme, les fables médiévales les meilleures n’offrent que des qualités secondaires : clarté d’exposition, rapidité du récit, parfaite appropriation de la morale à l’action. Mais n’étaient-ce pas là les conditions essentielles du genre, tel que le comprenaient nos poètes entre le xiie siècle et le xve, et pouvait-on leur demander davantage ? Les recueils d’apologues de Phèdre et d’Avianus étaient sortis des écoles des rhéteurs et n’étaient au fond que des collections de thèmes d’exercices oratoires. Dans les cloîtres, tout en continuant à servir à assouplir le style et à former à la science du développement, ils étaient peu à peu devenus, sous l’influence des idées chrétiennes, des formulaires de règles de conduite. C’est alors qu’on prit l’habitude d’ajouter à chacune des histoires une épimythie, c’est-à-dire la conséquence pratique, le précepte qu’on pouvait en déduire. Les affabulations dont les apologues de Phèdre et d’Avianus sont pourvus n’ont rien d’antique ; elles sont la plupart apocryphes et sont l’œuvre du moyen âge. Celui-ci considéra désormais