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LES FABLES

l’original de Marie par les récits détachés du trésor des contes populaires dont j’aurai à parler plus abondamment à propos des Romans du Renard. Ces contes, comme on le verra, étaient proches parents des fables tant par leur origine que par la communauté fréquente des sujets ; ils n’en différaient guère que par l’absence complète de didactisme et d’intentions morales ; ils étaient destinés à égayer, non à instruire. L’auteur du recueil anglo-latin n’a pas, du reste, été le seul à emprunter à ce fonds antique et inépuisable. On saisit déjà cette tendance à enrichir la collection de Phèdre chez un de ses premiers imitateurs, chez le compilateur des Fabulæ antiquæ qui ne sont que les apologues latins mis en prose et dont il nous est parvenu une copie écrite par Adémar de Chabanes avant son départ pour la première croisade. Nous la constatons, beaucoup plus accentuée, à partir du xiie siècle, dans les paraboles latines, bientôt traduites en français, du cistercien anglais Eude de Cheriton, et dans les recueils d’exemples de Jacques de Vitry et du franciscain anglais Nicole Bozon. Ces paraboles et ces exemples étaient de petits récits destinés à être introduits dans les sermons, et dont, qu’ils fussent édifiants ou plaisants, les prédicateurs tiraient une morale. Or, plus encore que dans les fables de Marie de France, les thèmes empruntés pour ces exemples aux contes populaires figurent à côté de ceux que fournit Phèdre.

Les Isopets. — Ainsi le recueil de Marie de France nous montre la fable arrivée au xiie siècle à son complet épanouissement. Et si l’on songe que l’original latin était antérieur d’un siècle à la traduction anglaise dont Marie s’est servie, on peut juger avec quelle rapidité ce genre s’est développé au moyen âge, avec quel goût il était cultivé dans les cloîtres et dans les écoles avant de fleurir dans la langue vulgaire. Isopet, le terme qui, pour les poètes français, remplace celui de Romulus, ne désigne donc pas uniquement les apologues proprement classiques, attribués déjà du temps d’Hérodote au fameux Phrygien et propagés par des écrits. Ce terme, qui semblait devoir être spécialement réservé pour désigner l’apport si considérable par lui-même de l’antiquité, a vite élargi sa compréhension. Il désigna en outre tous les récits indigènes ou exotiques, sérieux ou comiques, que la sagesse humaine peut convertir en leçons de