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LE ROMAN DE LA ROSE

tion que les vertus personnelles et non celles des ancêtres sont les seuls titres de noblesse. Ces constatations montrent combien il est délicat, difficile, sinon impossible, de rechercher quelle influence le Roman de la Rose a exercée sur la littérature subséquente.

En effet, lorsqu’on examine attentivement les poèmes écrits dans le goût du Roman de la Rose et parus peu après lui, on ne peut la plupart du temps décider si les idées et le tour d’esprit communs à toutes ces compositions ont été empruntés au poème de Guillaume de Lorris et de Jean de Meun ou à d’autres œuvres du même genre. Et ces poèmes en ont souvent inspiré d’autres, qui à leur tour ont été imités, de sorte que leurs idées ont pu, en dehors du Roman de la Rose, se vulgariser et se transmettre de générations en générations. Baudoin de Condé, par exemple, pour ne citer que les trouvères chez qui l’on serait le plus tenté de voir l’influence de Guillaume de Lorris, a exposé, sous une forme allégorique, « Les maus d’Amours et le contraire », dans la Prison d’Amours, le Conte d’Amours, le Dit de la Rose. Mais, bien que l’inspiration de Baudoin soit semblable à celle de Guillaume, rien dans les poésies qui viennent d’être citées ne paraît emprunté au Roman de la Rose plutôt qu’à d’autres poèmes du même genre. Le fils de Baudoin, Jean de Condé, lui aussi, n’a de commun avec Guillaume que des banalités qu’il a pu trouver partout ailleurs aussi bien que dans le Roman de la Rose. C’est dans sa Messe des Oiseaux qu’on verrait le plus volontiers l’influence de Guillaume de Lorris. Par une nuit de mai, l’auteur songe qu’il se trouve dans la campagne au lever de l’aurore. Là il assiste à une messe chantée par les oiseaux en présence de Vénus. Sur l’ordre de la déesse, le perroquet y prêche sur les vertus nécessaires en amour : Obédience, Patience, Loyauté, Espérance. La messe fut suivie d’un dîner sur l’herbe : le premier mets fut Regard, le second, Doux-Rire ; l’entremets se composait de soupirs et de plaintes, et ainsi de suite. À la fin du banquet une discussion s’éleva entre les chanoinesses et les nonnes cisterciennes, les premières reprochant aux secondes de leur prendre leurs amants. Après un débat où de nombreuses questions furent traitées, Vénus décida que chanoinesses et nonnains devaient comme par le passé aimer et se faire aimer.