Page:Petit de Julleville - Histoire de la langue et de la littérature française, t. 2, 1896.djvu/171

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
155
DEUXIEME PARTIE DU ROMAN DE LA ROSE

profondes racines, son extirpation fut longue, et au xviie siècle encore son influence se manifeste sous différentes formes, notamment dans cette école dont Honoré d’Urfé et Mlle de Scudéry furent les coryphées.

La chronologie des œuvres du xiiie siècle est encore trop insuffisamment établie, trop de poèmes de cette époque sont encore inédits ou à jamais perdus pour qu’il soit possible de préciser, dans l’état actuel de la science, quelle action Guillaume de Lorris et Jean de Meun ont exercée sur le développement de notre littérature. Il est cependant un fait qu’on peut désormais considérer comme incontestable, c’est qu’on a beaucoup exagéré le rôle funeste de ces deux poètes. On a souvent attribué à Guillaume de Lorris l’introduction dans la poésie française du songe, de l’allégorie, des personnifications. C’est une erreur facile à réfuter. Et d’abord il faut distinguer de l’allégorie une autre figure que d’ordinaire on confond abusivement avec elle, bien qu’elle en diffère essentiellement. C’est la métaphore prolongée. Non seulement les auteurs du Roman de la Rose n’ont pas introduit celle-ci dans la littérature française, car elle tient une très large place dans des poèmes antérieurs ou contemporains, mais encore ils ne sont en aucune façon responsables du néfaste succès qu’elle va avoir à la fin du xiiie siècle et au xive, puisqu’on en trouve à peine quelques traces insignifiantes dans leur composition. Quant au songe, à l’allégorie proprement dite, aux personnifications, ils sont d’un usage fréquent dans la littérature antérieure, et Guillaume de Lorris en les prenant pour cadre de son poème n’a fait que se conformer au goût de son époque. Toutefois il est évident que sans le succès du Roman de la Rose ce goût n’aurait eu ni l’extension qu’il a reçue à partir de la fin du xiiie siècle, ni son extraordinaire persistance.

Les autres éléments du Roman de la Rose qui ont agi sur la littérature des siècles suivants se présentent dans les mêmes conditions, c’est-à-dire que d’une part les auteurs du roman les ont trouvés dans le domaine public, et que, d’autre part, ils leur ont donné une forte impulsion. Ce sont, dans la première partie du poème, la préciosité, le cultisme de la femme, la didactique de l’amour courtois ; dans la seconde partie, les plaisanteries et les injures à l’adresse des femmes, et peut-être aussi l’affirma-