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LE ROMAN DE LA ROSE

Ces attaques, souvent répétées, finirent par provoquer de vives ripostes. Au commencement du xve siècle, les adversaires et les partisans du Roman de la Rose se livrèrent un véritable combat littéraire. Le point de départ de cette querelle fut une discussion verbale entre Jean de Montreuil, prévôt de Lille, le premier en date des humanistes français, grand admirateur de Jean de Meun ; Gerson, le grave chancelier de l’université de Paris, que l’immoralité et surtout l’impiété de la seconde partie du roman révoltaient ; et Christine de Pisan, que le cynisme de Jean de Meun indignait et qui lui avait déjà aigrement reproché, dans son Épître au dieu d’Amour, ses diatribes contre les femmes. À la suite de cette discussion, Jean de Montreuil envoya, en 1400 ou 1401, à ses deux contradicteurs un traité, aujourd’hui perdu, dans lequel il justifiait le poète. Cette défense suscita un échange de factums et d’épîtres, en français et en latin, pour et contre Jean de Meun, entre Christine de Pisan et Gerson d’une part, et d’autre part Jean de Montreuil, son ami Gontier Col, secrétaire du roi, Pierre Col, chanoine de Paris et de Tournai, frère du précédent, et quelques autres lettrés. La pièce la plus importante du débat est la réponse du chancelier au traité de Jean de Montreuil. Elle est intitulée Vision de Gerson et parut en 1402. Écrite dans le cadre que le Roman de la Rose avait mis à la mode, c’est-à-dire sous forme d’un songe allégorique, elle est un violent réquisitoire contre Jean de Meun, à qui Gerson reproche d’avoir fait la guerre à Chasteté, attaqué le mariage, blâmé les jeunes gens qui entrent en religion, répandu des paroles luxurieuses, diffamé Raison en lui prêtant des expressions abominables, mêlé les ordures aux choses saintes, promis le paradis aux luxurieux, profané des noms sacrés en les appliquant à des objets honteux. « Il n’a pas fait moins de irrévérence à Dieu ainsi parler et entouillier[1] vilaines choses entre les paroles divines et consacrées que s’il eust getté le précieux corps Notre Seigneur entre les piés des pourceaux et sur un fiens[2]. Pensez quel outrage et quel hide[3] et quel horreur ! » Au point de vue littéraire Gerson est aussi pour la seconde partie du roman un juge sévère ; dans sa lettre à Pierre Col, il le traite

  1. Mêler.
  2. Fumier.
  3. Hideur.