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DEUXIEME PARTIE DU ROMAN DE LA ROSE

avec Adonis. Elle vient avec eux et jure en arrivant que jamais elle ne laissera Chasteté chez femme qui vive ; elle fait jurer à son fils qu’il en fera autant chez les hommes (v. 15506-16092).

Cependant Nature était dans sa forge occupée à la continuation des espèces, luttant contre la mort, qui cherche à les faire disparaître en détruisant les individus. Art essaie d’imiter Nature, mais il ne peut que la contrefaire, car si naturelles que paraissent ses œuvres, il leur manque la vie, qu’il ne saura jamais leur donner. Ni en sculpture, en gravure ou en peinture, ni en alchimie. Art n’arrivera jamais aux mêmes résultats que Nature. L’artiste ne peut donner la vie, le mouvement, la sensation, la parole à ses créations. L’alchimiste ne peut changer les espèces, si préalablement il ne les décompose en leurs éléments primitifs ; et s’il peut arriver à cette décomposition, il faut encore qu’il sache, dans le mélange des éléments, garder les proportions dont dérive la forme, qui établit entre les substances des différences spécifiques. Néanmoins il est certain que l’alchimie est un art véritable, à condition qu’on le pratique sagement ; car, quoi qu’il en soit des espèces, les éléments qui les composent peuvent se combiner de mille façons, et par ces différentes combinaisons produire des espèces différentes. De même que de la fougère réduite en cendre on tire le verre, on pourrait transformer les métaux en les purifiant, tous étant composés des mêmes éléments diversement combinés :

Car d’argent vif fin or font naistre
Cil qui d’alchemie sont maistre,
Et pois[1] et coulour li ajoustent
Par choses qui gaires ne coustent (v. 16093-16450).

Tout en travaillant Nature pleurait en proie au remords. Près d’elle se tenait son chapelain Génius, qui toujours, au lieu de messe, lui rappelait

Les figures representables
De toutes choses corrompables,
Qu’il ot escrites en son livre.

Le remords de Nature est causé par l’homme, qui transgresse ses lois. Elle veut s’en confesser à son chapelain ; celui-ci, avant

  1. Poids.