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DEUXIEME PARTIE DU ROMAN DE LA ROSE

Travauz et Doulour la herbergent[1],
Mais il la lient et enfergent[2],
Et tant la batent et tourmentent
Que mort prochaine li présentent…

Dans l’amour le plaisir est légitime ; c’est même un condiment nécessaire ; mais on doit y chercher autre chose : la continuation de l’humanité. Malheur à ceux qui ne demandent à l’amour que des voluptés ! (v. 4455-4844.)

Mais, objecte l’amant, il faut aimer ou haïr : la haine n’est-elle donc pas plus à éviter que l’amour ? (v. 4645-4688.) Il y a différentes manières d’aimer, répond la déesse ; et pour le prouver, elle définit l’amitié, sans oublier les devoirs qu’elle impose, le tout d’après Cicéron (v. 4685-4784). L’amitié, très recommandable, ne doit pas être confondue avec le sentiment que les convoiteux témoignent aux riches, sentiment qui naît avec la richesse et disparaît avec elle, comme la lune brille des rayons du soleil (v. 4785-4852).

À ce propos Raison parle de la déesse Fortune et montre les inconvénients d’être riche. Ce n’est pas l’abondance des biens qui fait le bonheur ; le marchand, l’avocat, le médecin, le prédicateur dont les affaires prospèrent ne sont pas heureux, car plus ils amassent, plus ils veulent amasser. Les richesses ne sont pas faites pour être accumulées, mais « pour courir », pour aider ceux qui en ont besoin ; celui qui ne les dépense pas commet un crime dont il rendra compte à Dieu. D’ailleurs l’homme qui enserre des trésors n’en est pas le maître mais l’esclave. Il a la peine de les amasser, le souci de les garder et la douleur à sa mort de les quitter. Plus heureux celui qui n’a vaillant une maille, mais vit de son travail quotidien, sans préoccupation du lendemain, avec l’espoir d’aller, s’il est malade, à l’hôpital, et, s’il meurt, au ciel (v. 4853-5040).

Nus n’est chetis[3] s’il nel cuide[4] estre,
Soit rois, chevaliers ou ribauz.
Maint ribaut ont les cuers si bauz[5],
Portant sas[6] de charbon en Grieve[7],
Que la poine riens ne lor grieve[8] ;
Qu’il en pacience travaillent
Et balent[9] et tripent[10] et saillent[11],
Et vont a Saint Marcel as tripes[12],

  1. Hébergent.
  2. Enchaînent.
  3. Malheureux.
  4. Croit.
  5. Gais.
  6. Sacs.
  7. La place de Grève.
  8. Incommode.
  9. Dansent.
  10. Gambadent.
  11. Sautent.
  12. Et vont manger des tripes à Saint-Marcel.