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LE ROMAN DE LA ROSE

Le second couplet du Testament, cité plus haut, semble indiquer que Jean de Meun a fait, en sa jeunesse, d’autres poésies frivoles que son roman, mais nous ne les possédons pas, du moins sous le nom de leur auteur.

En revanche une foule d’ouvrages de différentes natures, et dont quelques-uns ne remontent pas au delà du xve siècle, lui ont été faussement attribués, sans doute pour les faire bénéficier de sa réputation.

Analyse de la seconde partie du Roman de la Rose. — L’amant désespéré se prépare à la mort et lègue son cœur à Bel-Accueil (v. 4069-4232). Pendant qu’il se lamente, Raison descend une seconde fois de sa tour et tente encore de le sauver, en l’exhortant à quitter le service d’Amour, dont elle lui fait un portrait bizarre autant que peu flatteur (v. 4233-4372).

Amours ce est pais haïneuse,
Amours est haïne amoureuse,
C’est loiauté la desloial.
C’est la desloiauté loial…

Et ainsi pendant soixante vers. À cette litanie — traduite du de Planctu Naturæ d’Alain de Lille — l’amant aurait préféré une bonne définition. Raison lui en donne une — empruntée au traité de Amore d’André Le Chapelain — : « L’amour est une affection de l’âme qui attire l’une vers l’autre deux personnes de sexes différents… » Pour les uns la fin de cet amour est le plaisir seul ; pour les autres il est le principe de la propagation de l’espèce. Celui qui ne cherche dans l’amour que le plaisir se fait l’esclave du plus grand des vices, de la racine de tous les maux, comme Cicéron appelle la volupté, dans son livre sur la vieillesse (v. 4373-4454).

Partant de cette citation, Jean de Meun établit un parallèle entre la jeunesse et la vieillesse. À l’exemple du philosophe latin, il représente les jeunes gens comme les esclaves de leurs passions ; il reproche même très hardiment à ceux de son siècle une faute que les Romains ne connaissaient pas : l’abandon à la porte d’un couvent de la liberté qu’ils ont reçue de la nature. Mais tandis que Cicéron peint la vieillesse avec les couleurs les plus gaies, Jean de Meun en fait un sombre tableau :