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DEUXIEME PARTIE DU ROMAN DE LA ROSE

de la même année il prit régulièrement dans les actes émanés de sa chancellerie le titre de roi de Jérusalem. Jean de Meun ne mentionne pas cette nouvelle dignité. Étant donnée l’intention manifeste de flatterie qui a inspiré les vers où il parle de Charles d’Anjou, il n’aurait sûrement pas manqué de signaler un événement si glorieux pour ce « vaillant roi », pour « ce bon roi », s’il l’avait connu, c’est-à-dire s’il avait écrit ces vers après 1277. Non seulement le passage en question, mais le poème entier a dû être composé avant cette date, car l’auteur, qui a intercalé plusieurs additions dans son œuvre, n’aurait sans doute pas hésité à y ajouter quelques vers pour rappeler cet événement s’il était survenu lorsqu’il tenait encore la plume.

Longtemps on a cru que le poème de Jean de Meun était du xive siècle. Différentes dates après lesquelles il n’a pu être écrit ont été depuis successivement constatées : le procès des Templiers (1309), la mort du poète (1305), les Vêpres Siciliennes (1282), enfin l’avènement de Charles d’Anjou au trône de Jérusalem (1277). Mais, fait curieux, on n’a généralement reculé que de la distance imposée par l’évidence. Pourtant, si la constatation que le Roman de la Rose était terminé à l’époque où le roi de Sicile prit le titre de roi de Jérusalem fixe une date en deçà de laquelle on ne saurait descendre, elle n’empêche pas de remonter au delà. La digression relative à Charles d’Anjou fut écrite entre 1268 et 1277. À défaut d’autre indice on est en droit de faire remonter le poème jusqu’en 1268. Cette date même n’est pas une limite infranchissable, car l’épisode qui nous la fournit peut être, comme d’autres, une addition intercalée par l’auteur dans son poème[1]. En prenant une moyenne et en tenant compte qu’une œuvre aussi considérable a dû demander plusieurs années de travail, nous dirons que le Roman de la Rose a été continué vers 1270. C’est par le même raisonnement que nous avons fixé approximativement la date de la première partie entre 1225 et 1230.

  1. Il n’est peut-être pas sans intérêt de constater ici que Jean de Meun, d’ordinaire si avare d’allusions aux événements contemporains, a introduit Charles d’Anjou non seulement dans le Roman de la Rose, mais aussi dans sa traduction de Végèce.