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LE ROMAN DE LA ROSE

grant pieça » arrêtée et conclue, dit expressément l’acte ; preuve que depuis longtemps Adam possédait la maison, mais non pas que depuis longtemps Jean de Meun était mort ; on peut supposer en effet que celui-ci n’était que locataire ou usufruitier et que sa mort a été l’occasion de l’acte. En tout cas il est certain qu’en novembre 1305 Jean Clopinel ne vivait plus.

Jean de Meun jouissait d’une certaine fortune ; sa maison, flanquée d’une tourelle, ayant cour et jardin, atteste cette aisance. Honoré Bonet, dans son Apparition de Jean de Meun, écrite dès la fin du xive siècle, le représente avec un riche manteau fourré de menu vair[1]. Le poète dit d’ailleurs lui-même, dans son Testament :

Dieus m’a doné au mieuz onour et grant chevance[2].

Et il ajoute :

Dieus m’a doné servir les plus granz genz de France.

Nous ignorons à quelle situation il fait ici allusion. Nous savons seulement que sa traduction du de Re militari}} de Végèce a été faite pour Jean de Brienne, comte d’Eu, et celle de la Consolation de Philosophie de Boèce pour le roi Philippe le Bel. Il semble aussi avoir été l’obligé du comte d’Artois et surtout de Charles Ier, roi de Sicile.

Son premier ouvrage de longue haleine est la continuation du Roman de la Rose. Un passage permet d’en déterminer la date approximative ; c’est celui où Jean rappelle la mort de Mainfroi et celle de Conradin, décapité par ordre de Charles, qui

Est ores[3] de Sicile rois.

Mainfroi fut tué en 1266 ; Conradin fut exécuté en octobre 1268 ; Charles d’Anjou mourut en 1285. C’est donc sûrement entre 1268 et 1285 que ce passage fut écrit. Mais on peut préciser davantage. Le 15 janvier 1277 Charles acheta les droits de Marie d’Antioche au trône de Jérusalem, et à partir du 15 juillet

  1. Cette maison était appelée l’hôtel de la Tournelle ; elle porta aussi pendant des siècles le nom de Jean de Meun. Elle occupait l’emplacement de la maison qui porte actuellement le no 218 de la rue Saint-Jacques.
  2. Richesse.
  3. Actuellement.