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LES FABLES ET LE ROMAN DU RENARD

Phèdre. Immense pourtant a été le succès de ces morceaux, la plupart anonymes, d’origine obscure et de rédaction incertaine.

La cause de cette vogue n’est pas uniquement dans la séduction que pouvaient exercer ces petits drames sur des esprits naïfs pour lesquels toute chose contée était et devait être une source de plaisir. Elle est surtout dans la préoccupation didactique et morale qui, chez les clercs, dominait, dirigeait l’étude des livres profanes, dans cette recherche assidue et passionnée du sens profond et caché qu’ils prétendaient trouver dans toute œuvre antique, si peu grave qu’elle fût.

…N’i a fables ne folie
Ou il n’a de filosofie,


disait-on. En effet, les apologues transmis par les Latins avaient cet avantage incontestable sur les autres écrits païens qu’ils étaient, par leur nature même, une mine tout ouverte pour une telle investigation. De chacune de ces innombrables scènes, rien n’était plus aisé que de tirer un ou plusieurs préceptes de conduite ; l’application à la vie humaine de cette comédie animale se dégageait naturellement. Aussi, voyons-nous les fables être, pour ainsi dire, la substance de l’enseignement d’alors. Dès le seuil de l’école, chacun les trouvait comme recueils d’exemples de grammaire et de style. À un degré plus élevé, elles servaient d’exercices de rhétorique et formaient le jugement : on tournait en prose latine les iambes ou les distiques du poète latin, ou bien on les paraphrasait en vers ; un des maîtres du temps les versifiait de trois façons : copiose, compendiose et subcincte ; un autre, Egbert de Liège, reprenait maint apologue antique pour lui donner une forme nouvelle et imprimer au drame une marche toute différente. On tirait de chacun des morceaux les affabulations que comportait le sujet, et c’est ainsi que les collections de Phèdre et d’Avianus nous sont parvenues enrichies de morales qu’elles n’ont point possédées à l’origine. Bref, chacune de ces collections a donné peu à peu naissance à des dérivés, sortes de corrigés d’écoliers, qui se sont transmis de génération en génération, tantôt reproduisant avec fidélité la pensée primitive, tantôt lui faisant subir les métamorphoses les plus variées et les plus inattendues. Ce sont ces dérivés, autant,