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LE ROMAN DE LA ROSE

Cette attribution n’est d’ailleurs pas nécessaire. L’intrigue, au moment où s’arrête la première partie du Roman de la Rose, peut être considérée comme arrivée à son dénoûment, puisqu’elle n’est interrompue que lorsque l’amant a conquis le cœur de la jeune fille et obtenu d’elle des gages de son amour ; lorsque Honte, Peur et Danger se sont rendus, que l’amie, atteinte par les brandons de Vénus, agrée les « granz privetez » de Guillaume, « est preste a recevoir ses jeus », qu’elle lui a donné le baiser doux et savoureux, sachant bien que c’est « erres du remanant »[1] ; qu’en un mot, elle répond entièrement à son amour et n’est séparée de lui que par l’étroite surveillance de ses parents. Cette surveillance sera d’autant plus facile à tromper que la garde de la jeune fille a été confiée à une duègne « qui set toute la vieille danse », et de qui les largesses de l’amant auront facilement raison.

De temps à autre Guillaume interrompt son récit pour en marquer le plan et annoncer ce qui va suivre. Dans une de ces annonces on a cru voir la preuve que le roman devait, dans la pensée de l’auteur, durer encore longtemps, si la mort ne l’avait interrompu. Le passage en question signifie précisément le contraire. Le voici ; il est très important :

Li dieus d’Amours lors m’encharja[2],
Tout ainsi com vous orrez ja[3],
Mot a mot ses comandemenz ;
Bien les devise[4] li romanz.
Qui amer vuet or[5] i entende,
Que li romanz des or amende[6].
Or le fait il bon escouter,
S’il est qui le sache conter,
Car la fin du songe est mout bele,
Et la matire en est nouvele.
Qui du livre la fin orra[7],
Je vous di bien qu’il i porra
Des jeus d’Amours assez[8] aprendre ;
Pour quoi[9] il vueille tant atendre
Que j’espoigne[10] et que j’enromance[11]
Du songe la senefiance.
La verité qui est couverte
Vous sera lores toute aperte
Quand espondre[12] m’orrez[13] le songe
Ou[14] il n’a nul mot de mensonge
(v. 2067-2086).

Cette fin du songe, qui doit en être la partie la plus belle, c’est précisément ici qu’elle commence ; l’auteur le dit formellement, et l’expression or ou dés or, trois fois répétée, ne peut laisser aucun doute sur sa pensée. C’est maintenant qu’il faut

  1. Arrhes pour le reste.
  2. Me confia.
  3. Vous allez entendre.
  4. Énumère.
  5. Maintenant.
  6. Devient meilleur.
  7. Entendra.
  8. Beaucoup.
  9. Pourvu que.
  10. Expose.
  11. Mette en français.
  12. Exposer.
  13. Entendez.
  14. Où.